Alors que le XIXe siècle touche à sa fin dans la paisible campagne allemande, le docteur Hans Grübbel reçoit la visite d’un nouveau patient qu’il devra traiter. Celui-ci prétend être nul autre que Dieu en personne, souffrant d’une mystérieuse maladie nerveuse. Grübbel croit d’abord à une farce, d’autant plus que ce patient ressemble étrangement à son célèbre collègue de Vienne, auteur du récent et controversé essai L’interprétation des rêves, Sigmund Freud. Mais plus la thérapie avance, plus le docteur s’interroge sur l’identité de son interlocuteur, ce dernier jouant habilement de ruse pour poser des questions à son confident au lieu de répondre aux siennes, et s’immiscer dans sa vie tel un maître tirant les ficelles de ses gestes et de ses actions. Grübbel, tombant de plus en plus dans une folie et un désordre psychique liés à sa dépendance à la cocaïne, tentera par tous les moyens de vaincre ce nouvel adversaire, quitte, s’il le faut, à en payer l’ultime prix, celui de sa vie.
Troisième roman de Mario Vivier qui, après des études en histoire et en sciences politiques, a vécu plusieurs vies avant de devenir écrivain (deux titres ont déjà paru chez Lanctôt), Dieu et le docteur Grübbel se lit comme un thriller haletant où, en lieu et place du traditionnel crime qui caractérise le genre, se déploie une formidable joute oratoire et intellectuelle entre les deux personnages principaux. Ceux-ci forment un trio complété par la baronne Salomé von Pappenheim, maîtresse et voisine du docteur avec qui il entretient une relation trouble, et qui s’adonne à temps perdu au spiritisme. Au cours d’une séance, d’ailleurs, les nombreuses possibilités de l’identité de ce mystérieux individu seront exposées : s’agirait-il du père de Grübbel, Ludwig ? De Ludwig van Beethoven ? Ou même du baron von Pappenheim, mystérieux mari de Salomé, infatigable globe-trotter qui n’a plus donné de nouvelles depuis des mois ? À moins que toute cette histoire ne soit enfin la preuve de l’existence du Tout-Puissant…
Mario Vivier a su trouver un sujet de roman original, qui se démarque de la production actuelle (notamment parce qu’il explore un autre siècle et une autre vision de la vie et de l’univers), et il a su l’exploiter tout au long de ces 223 pages. Si le dénouement tant attendu est un brin décevant car précipité et relativement peu original, il n’en demeure pas moins qu’on prend un malin plaisir à lire cette histoire dans laquelle les rapports humains sont présentés sous leur plus mauvais jour – tromperie, cupidité, quête de pouvoir, etc. Le style de Mario Vivier est sans éclat mais efficace, et le roman, malgré quelques défauts mineurs, s’avère une belle surprise.