L’intuition de Jacques Paquin était bonne : oui, la science a fasciné et fascine encore les poètes québécois. Après d’intenses et longues recherches, le professeur de lettres et de communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui participe par ailleurs au vaste projet du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, nous offre ici le fruit de son travail, un florilège excessivement varié de la poésie québécoise depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Les textes d’auteurs oubliés, tels Édouard-Zodique Massicotte ou Henri Pratt, ouvrent cette anthologie qui fait une large place aux écrits des années 1980 et 1990. D’obscurs poèmes rédigés par des auteurs connus ou moins connus côtoient ici quelques-uns des grands textes de notre littérature, comme « Arbres » de Paul-Marie Lapointe, magnifique ode à la nature se déployant telle une encyclopédie. Nombreux seront les poètes à donner vie au lexique de la science – entendue ici dans son sens large : physique, astronomie, mais aussi sciences naturelles, géométrie, mathématiques – pour parler de réalités aux antipodes de la logique, comme l’amour (et sa propagation). La prolifération des termes scientifiques évoque dans d’autres cas un monde technologisé, trop spécialisé, opaque. On constate qu’en louchant vers la science, le regard se fait plus distancié qu’à l’habitude en poésie. Mais bien sûr certains poètes, comme Yves Préfontaine, Jean-Marc Desgent, Marcel Bélanger ou Renaud Longchamps, mettront le « je » au centre de préoccupations profondément existentielles. On réfléchira alors sur le ridicule d’une vie et de sa mort en regard de l’évolution cosmique. Et sur l’insignifiance de la parole, du poème.
Le lien avec la science étant une limitation dans le choix, il va de soi que les textes de cette anthologie ne sont pas de valeur égale. Aussi, le sujet privilégié n’y occupe pas toujours une place centrale. Néanmoins, plusieurs de ces textes ont fait notre bonheur, comme les extraits du surprenant Faiseur d’îles d’Émile Martel, qui imagine un laboratoire hors du temps et de l’espace où serait observée puis remisée chaque destinée humaine. On retrouve aussi avec plaisir la voix sensible et forte d’Yves Boisvert, décédé en 2012.