Pierre Breton s’est fait la main à l’écriture par le métier de journaliste, qu’il a pratiqué pendant plus de vingt ans pour un hebdomadaire beauceron. La publication de Sous le radar souligne son apparition dans l’orbe littéraire québécois. Sourire en coin, l’ancien directeur de l’information recrée une époque qu’il serait vain de vouloir repérer sur un calendrier ou dans les pages d’un almanach : celle de la verte jeunesse, de ses chicanes de cour d’école et de ses premières œillades intéressées.
Dominant le village de Saint-Sylvestre, situé à cheval sur la frontière canado-américaine, le radar de la ligne Pinetree impose sa présence contre la menace communiste. Sur son CCM déglingué, Tom Higgins, Irlandais bravache à la langue bien pendue, impose sa loi par tous les moyens. Le narrateur, son meilleur ami, tient l’inventaire de leurs hauts faits dans neuf chapitres clôturés chacun par une chute autonome. Parmi ces prodiges de mauvais coups, l’incendie d’une défunte grand-mère, le trucage d’élections municipales, la mise sens dessus dessous de l’Hôtel du Repos et bien d’autres encore.
La belle Claudine Côté cédera-t-elle aux charmes du jeune narrateur ? Tom et lui parviendront-ils enfin à Delhi, Ontario, pour la récolte du tabac ? À condition bien sûr que Giroux Deux-Dents, ce pochetron exécrable, daigne les y conduire. Au fil de ces aventures rocambolesques, c’est bientôt tout un monde qui se dévoile et palpite, vibrant au rythme de WPTR, de la musique des Beatles et de Van Morrison : une campagne en pleine mutation qui s’ouvre, hésitante, aux influences de la modernité. Les tribulations initiatiques en terre ontarienne font quant à elles revivre l’esprit des vagabonds au long cours que n’aurait sans doute pas désavoués Jack London. Au retour, le démantèlement du radar et la délocalisation des travailleurs, dont le père du narrateur, transféré à Saint-Hubert, annoncent la fin de la récréation.
Avec ce premier roman, Breton réalise un tour de force digne de mention. Ses héros sont attachants, ses descriptions pleines de vie, imagées, et le style savamment dosé mêle avec habileté expressions familières et vocabulaire soutenu. Le ton égrillard offre tous les charmes d’un humour faussement candide, drôlement intelligent, qui fait mouche à tout coup. Bref, l’auteur livre une œuvre qui, peut-on souhaiter, ne passera pas sous le radar.