Le cliché, ressassé par mille polars, est connu même du lecteur le moins familier des mœurs policières : le tueur de flics sera l’objet d’une chasse à l’homme à nulle autre pareille. Dès lors, quand un meurtrier abat un policier après l’autre et que, de surcroît, il les démolit exactement là où la police a autrefois raté une autre enquête, attendons-nous au déferlement de la colère et de l’humiliation des uniformes. La Norvège, pays prospère et ordonné, était peut-être le dernier décor où pouvait s’inscrire ce carnage ; à en croire l’auteur, ce pays partage la même culture policière que le reste de la planète.
Jo Nesbø a tôt fait de montrer ce que peut devenir, en cas de crise, la méfiance inhérente au métier de policier : le bon enquêteur en sait assez long sur la nature humaine pour ne faire confiance à personne. Même dans son vestiaire, il surveille ses arrières. D’autre part, l’impunité policière est si blindée que les gestes interdits par la loi cessent parfois de l’être entre les mains de ceux qui personnifient la loi. À partir de ces deux constantes, Nesbø construit un polar où la police enquête sur elle-même en recourant à des méthodes à peine plus rassurantes que celles du meurtrier. Il le fait de façon si plausible que le lecteur en déduit qu’il ne peut en aller autrement : la corruption qui sévit jusque chez les cadres supérieurs, civils ou policiers, stérilise d’avance toute enquête menée selon les règles de l’art ou même une éthique minimale. L’honnêteté du cœur excusera les entorses à la loi…
Le roman dépasse pourtant de cent coudées le simplisme à la Clint Eastwood de Magnum Force ou de Dirty Harry. Ce Harry-ci, superbe personnage au flair infaillible et au psychisme chancelant, n’embarque dans cette chasse sans merci ni contrainte qu’à son corps défendant. Quand il plongera, ce sera au nom de motifs d’une indéniable élévation. « Il lui manquait juste cette capacité qu’ont la majorité des gens de s’éloigner de ce qui fait mal, d’oublier, de se concentrer sur quelque chose de plus agréable, de plus facile. » Pour réussir son enquête, il devra regarder la laideur en face, y compris en lui.
Dans le climat de méfiance et d’impunité qu’il a lui-même créé, Nesbø avait beau jeu de multiplier chez son lecteur une large gamme de soupçons. Tout bon roman policier pratique ce sport et celui-ci est plus que bon. L’auteur oublie pourtant en épinglant le plus coupable de faire un sort aux très nombreuses pistes qu’il a ouvertes et qui, bien sûr, ne débouchent sur rien.