Depuis les années 1990, les écrits de marcheurs relatant leur expérience sur les routes de Saint-Jacques-de-Compostelle ont donné lieu à un véritable phénomène éditorial. Uniquement au Québec, plus d’une trentaine de témoignages ont été publiés en volumes de 1997 à nos jours. Cet engouement pour le Chemin n’a toutefois généré que très peu d’écrits de fiction jusqu’à présent. Aussi le roman de Mylène Gilbert-Dumas est-il l’un des rares romans québécois, après celui de Maryse Rouy entre autres (Au nom de Compostelle, 2003), à se dérouler sur le Chemin des étoiles, du moins, en l’occurrence, dans la partie française qui va du Puy-en-Velay à Golinhac. Ce roman raconte comment la vie ordonnée de Mireille, une femme dans la quarantaine, mariée et mère de trois enfants, est bouleversée après qu’elle s’est laissé convaincre par sa sœur d’entreprendre un périple sur la route de Compostelle. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, cette histoire s’inspire en grande partie, nous dit l’auteure, de son « expérience personnelle et des histoires qu’on [lui] a racontées sur le Chemin ». Rien d’étonnant par conséquent à ce que le récit se déploie selon la structure narrative qui tend à s’imposer pour mettre en scène cette expérience de marche intensive. Après avoir planifié son voyage (préparatifs d’usage, poids du sac à dos, choix des chaussures de marche, etc.) et s’être étonnée « de voir tous ces gens marcher dans le même sens », Mireille doit « affronter la douleur, le froid, la fatigue, le poids du sac qui semblait de plus en plus lourd » et surmonter l’inévitable tentation d’abandonner « cette route d’enfer », pour parvenir ensuite à un stade de décentrement libérateur, à « un état où la réalité, celle de la société, n’avait plus d’emprise, dans un lieu intérieur où seule existait la vérité des choses immédiates, des sentiments, des pulsions, des sensations ». Seule peut-être l’histoire d’amour coupable entre Mireille et Christian, un marcheur acadien « dont la personnalité, à la fois mystique et mystérieuse, était à des années-lumière de ce qu’elle connaissait des hommes », se démarque de ce qu’on retrouve généralement dans ce genre de témoignage.
Pour pouvoir accéder au sens du Chemin, Mireille semble préalablement devoir faire, sur ce même Chemin, l’expérience du non-sens, de « l’irrationnel », être assaillie par le doute à l’égard de « tout ce sur quoi elle avait bâti sa vie ». Cela dit, on pourra s’étonner qu’au terme d’une épreuve initiatique qui l’a amenée à remettre en question « toutes ses valeurs et toute sa vie », l’héroïne retourne stoïquement à son ancienne vie, à ceci près qu’« elle vivait désormais avec un doute, une brèche qui avait ébranlé sa compréhension du monde et l’avait rendue indulgente avec elle-même et avec les autres ». Là encore, il semble que la fiction se soit peu démarquée de ce qu’on retrouve dans la plupart des témoignages des marcheurs qui ne gardent bien souvent de leur aventure sur le Chemin « qu’un enseignement essentiel et assez vague », comme le disait Jean-Christophe Rufin dans son Immortelle randonnée (2013).