La plaquette de Georges Bouchard, publiée pour la première fois en 1926, aurait pu s’intituler Dans mon village, il y a belle lurette. Contemporain du chanoine Groulx, l’ancien professeur de l’Université Laval et sous-ministre de l’Agriculture à Ottawa offre 27 silhouettes typiques issues du terroir, qu’il regroupe sous la forme d’une visite guidée, promenant son miroir le long d’un sentier graveleux d’une paroisse canadienne-française d’antan.
Au milieu de ce portrait domine l’église, où toutes les routes convergent. Lieu de rassemblement dominical, celle-ci impose aux paysans le rythme d’une vie spirituelle et bat la mesure des sociabilités villageoises. Plusieurs personnages typiques évoluent autour d’elle : le curé, le maître chantre, le bedeau, le crieur et la ménagère du presbytère. En contrebas du chemin se trouve la boutique du forgeron, où naissent et transitent les cancans, ainsi que les socs de charrue endommagés. Plus loin, le cordonnier propose un service de confection de bottes souples bon marché et de souliers de bœuf durables, afin de tenir à distance les blessures et le recours au « remmancheux » du village.
L’habitation rurale répond quant à elle à la règle des quatre voisins, en vertu de laquelle elle n’est jamais ni isolée ni dans le besoin. Le voisinage permet d’absorber les coups durs lorsqu’ils se déclarent et offre un réseau d’entraide pour les nombreux travaux aux champs. « Épée, soc et croix : voilà les emblèmes de la race », écrit Bouchard, avant de passer en revue les artisans de la terre, membres de ce groupe sélect de la nation : le laboureur, le semeur, le coupeur, le gerbeur, etc. La figure de la fileuse vient clore de façon tout à fait symbolique cet examen ethnographique consciencieux : son rouet incarne le temps qui passe et qui, littéralement, file.
Georges Bouchard n’est pas le premier à chanter les louanges du « bon vieux temps », mais ses silhouettes ont du relief et composent un tableau vivant et évocateur, en plus de contenir, disséminées çà et là, quelques pointes d’humour. Ses défauts sont ceux des terroiristes en général : ton parfois sentencieux qu’appellent des visées apologétiques assumées et épanchements nostalgiques pour un passé en tous points supérieur. Le résultat fleure bon la glèbe humide et le foin coupé. Soit on adore, soit on abhorre.