Nonobstant les mérites de son auteur, l’autobiographie donne rarement des résultats probants. Autant, en effet, l’éloge d’un maestro convaincra s’il provient d’un observateur indépendant, autant la satisfaction même mesurée qu’exprime le maestro à propos de ses travaux laissera le public sur sa faim. Interprétés par un critique, les applaudissements du public à l’issue d’un concert valent cent fois ce que peut en dire celui qui en fait l’objet. Ce n’est pas minimiser les mérites considérables du chef d’orchestre Yoav Talmi que de regretter qu’ils ne soient pas vantés par un observateur neutre.
Car ces mérites sont considérables. Rares sont les chefs qui ont réussi, autant que celui-là, à respecter et à séduire les musiciens placés sous sa baguette. Plus rares encore peut-être sont ceux qui ont su, à la tête de l’orchestre d’une ville aux ressources moyennes, faire le plein des ressources du milieu. Qu’on songe à cet égard aux multiples collaborations entre l’Orchestre symphonique de Québec et les chœurs de la région, aux fantastiques regroupements requis pour rendre justice à Mahler, à l’ouverture d’esprit manifestée par le chef Talmi quand il s’agissait de présenter l’OSQ au Colisée, sur les plaines d’Abraham, etc. Sous le règne de Talmi, Québec avait un orchestre et le savait.
Les connaisseurs évalueront mieux que moi les révélations que Yoav Talmi a offertes au public québécois. Il n’a jamais boudé, que je sache, les œuvres classiques, mais il a osé, avec souplesse et persistance, élargir notablement le répertoire usuel. Ni Mahler, ni Sibelius, ni Bruckner n’étaient des inconnus pour les mélomanes de Québec, mais ils n’étaient pas non plus les familiers qu’ils sont devenus grâce à Talmi. La musique des compositeurs québécois modernes, qu’il s’agisse de Mercure, de Mathieu ou de Hétu, présente sans surabondance provocante, a toujours obtenu droit de cité grâce au chef Talmi.
Compositeur de la marche officielle de l’armée d’Israël, Yoav Talmi n’a jamais caché son attachement à son pays d’origine. A-t-il parfois laissé cette très légitime affection dicter ses choix de solistes ou de répertoires ? Il se peut. Quand il apprend que l’on faisait entendre Les Préludes de Liszt après la journée de travail dans les camps de concentration nazis, sa réaction est immédiate : « […] jusqu’à ce jour, jamais je n’ai dirigé Les Préludes de Liszt ». Des années après 1945, il attendra l’aval de son père avant d’accepter les propositions qui pouvaient lui venir d’Allemagne. La mémoire a ses droits. Que Yoav Talmi révèle aujourd’hui de telles préoccupations suffit à convaincre que ses décisions furent longuement pesées par sa conscience.
Une autobiographie qui appelle et attend la biographie.