Depuis la publication de Garage Molinari en 1998, Jean-François Beauchemin poursuit une œuvre qui, pour avoir changé de ton avec la parution de La fabrication de l’aube presque dix ans plus tard, n’en tourne pas moins autour des mêmes nœuds dramatiques et, pourrait-on dire, philosophiques. Son nouveau titre, Quelques pas dans l’éternité, s’inscrit sans conteste dans la même veine.
En fait, Beauchemin offre ici à ses lecteurs, sous forme de calepins de l’année 2012, une immersion dans l’univers de l’écrivain et de l’homme qu’il refuse dorénavant de dissimuler sous des personnages de fiction. Du 8 janvier au 31 décembre 2012, de façon régulière mais non systématique, il partage ses réflexions et ses opinions sur plusieurs sujets sur lesquels, d’ailleurs, il nous a déjà entretenus : l’absence de Dieu, la nature de l’âme, la force de la matière, la nature, les animaux et en particulier les chiens, la famille. Certains pourront peut-être se lasser de le voir revenir sur ce qui pourrait ressembler à des obsessions ; l’auteur du Jour des corneilles, de Ceci est mon corps et de Cette année s’envole ma jeunesse nous en parle cependant avec cette verve et ce style superbe qui n’appartiennent qu’à lui et qui séduisent toujours autant. D’autres, au contraire, apprécieront cette immersion dans la tête et le cœur de Beauchemin, qui s’attarde et revient en boucle sur sa vision du monde et de la vie sous une forme fort intéressante, ces calepins qui se lisent à petite dose et sur lesquels on peut revenir à souhait.
Les lecteurs trouveront également dans Quelques pas dans l’éternité de riches passages sur son métier d’écrivain et son rapport à l’écriture. « Renonçant depuis toujours aux plans détaillés, je prends possession du terrain où s’établira mon manuscrit en y érigeant une charpente sommaire, qui servira aussi de cadre à ma pensée. Ce support encore instable […] est fait de deux choses : le premier et le dernier chapitre, sur lesquels je m’appuie et m’aligne tour à tour. » Et plus loin : « Si je m’attache tant à cette forme, c’est-à-dire au choix et à l’agencement des mots, c’est que je sais ce qu’elle peut renfermer de substance. En ce domaine, rien ne m’a semblé plus juste, et plus beau, que ce qu’écrivait Louis Aragon dans Je n’ai pas appris à écrire : ‘Je crois encore qu’on pense à partir de ce qu’on écrit et pas le contraire’ ». Et Beauchemin de citer également le philosophe Alain qui écrivait que « [l]’art d’écrire précède la pensée ».
Truffé de très réussis et charmants dessins de l’auteur, pleins d’humour, Quelques pas dans l’éternité ravira les inconditionnels de Jean-François Beauchemin et permettra certainement à ceux qui ne le connaissent pas de découvrir l’univers d’un écrivain à la fois grave et lumineux.