« Les événements se déroulent dans des lieux imprécis, avec des humains incertains, dans des temps confus. Ce qui en fait un récit déroutant, sans direction claire. Et ainsi plein de sens, en quelque sorte. »
Nous voilà prévenus. Le lecteur devra accepter d’avancer dans le brouillard, tout comme la narratrice après la catastrophe qui s’est abattue sur la cité : un épais brouillard a tout enveloppé, gagnant tous les interstices et même les consciences. On dirait un conte, oui, un conte, pour m’exprimer comme la narratrice, qui répète mots et bouts de phrases (palilalie), conférant au récit un rythme de mélopée.
Pas de pronom « je », quoiqu’il s’agisse d’un roman à la première personne : « Rangeai la plume dans mon fourre-tout, fourre-tout […]. Sortis celui-ci de sa retraite, déployai l’accordéon, clic, tirai le portrait de l’Étranger ». Une voix singulière qui vous charme et vous attire. Vous attire, oui, dans des situations abracadabrantesques. Car la narratrice, historienne et antiquiste, en raison de ses recherches sur l’effondrement des civilisations, quitte la cité, telle Alice. Mais ce n’est pas le pays des merveilles qui l’attend. À la recherche du museum, l’universitaire traverse des lieux désertés, doit ramper dans des égouts, rencontre des personnages bizarres, énigmatiques, à l’allure de déjà-vu, ou comme revenus d’une autre époque, des laissés-pour-compte aux paroles ambiguës, bref, notre docteure ès civilisations fait une véritable descente aux enfers. Pas de cris de désespérance ou de lamentations, pourtant. Chaque rencontre lui vaut un objet antique qui se retrouvera dans son fourre-tout, pièce de monnaie ancienne, ticket de tram en argile, papyrus dans une bouteille archaïque sortie d’un automaphone… Vestiges d’un passé lointain.
Ce roman de Marie-Anne Legault, co-auteure de plusieurs encyclopédies pour la jeunesse consacrées à l’écologie, se prête à l’analyse des symboles semés au fil des pages. Pour découvrir non pas une direction, mais des sens, oui, des sens à cette quête dans le brouillard. Une Alice au pays de la mémoire en allée, ou d’une narratrice qui prête sa voix à une vieille femme chez qui l’imagination se substitue aux souvenirs effacés. Un roman au quelque chose d’inédit, oui, d’inédit.