Ce magnifique titre coiffe un très beau roman de Yasmina Khadra qui nous fait traverser l’Algérie coloniale du début du XXe siècle avant de nous laisser deviner les déceptions de l’indépendance en 1962.
D’une épreuve à l’autre, nous suivons Turambo, un jeune Araberbère (le néologisme est de Yasmina Khadra, semble-t-il) qui s’efforce tant bien que mal de tracer son chemin dans la vie. Il s’essaie à divers petits larcins, à quelques boulots de fortune avant d’être repéré par des organisateurs de matchs de boxe. Turambo le boxeur tient son surnom de la déformation étrange du nom de son village natal englouti dans un glissement de terrain. Sa vie a commencé par l’effacement physique du lieu d’origine qui a aussi, pense-t-il pendant longtemps, tué son père. La suite est racontée à partir de son amour ressenti successivement pour trois femmes, Nora, Aïda et Irène. De la cousine à la jeune Française, en passant par la prostituée, la passion de Turambo est chaque fois et de plus en plus cruellement empêchée.
Rien ne sauvera le héros, ni l’amour, ni le sport, ni les amitiés. Il est condamné à mal agir, à s’enfoncer constamment. La mort devient la seule issue digne mais il n’a même pas droit à ce soulagement ultime. Turambo est « fait comme un rat », à l’image de plusieurs personnages de Khadra. Les anges meurent de nos blessures, le bien meurt des souffrances de Turambo, le bien disparaît de la surface de la terre à force de douleurs subies par les misérables.
Yasmina Khadra revisite le passé lourd de la colonisation à travers un sport brutal, allégorie de la force physique héroïsée un temps mais finalement rattrapée par une misère sociale inéluctable.
Le propos du roman est tragique et l’écriture de Khadra encore emphatique, mais le narrateur se livre aussi à l’ironie et équilibre ainsi le drame par une dérision nouvelle sous la plume de l’écrivain algérien. Le récit nous tient en haleine, nous révolte mais son côté grinçant peut aussi nous arracher un sourire à l’occasion.