« Je n’ai pas la passion de tenir un journal. Il faut des faits inhabituels pour que je m’y sente obligé », écrit Günter Grass au début de ce Journal de l’année 1990. S’il s’impose ce pensum quotidien, c’est que le vieux militant du Parti social démocrate d’Allemagne, le parti de Willy Brandt et de Helmut Schmidt, entend participer aux débats sur la réunification de l’Allemagne qui ont suivi la chute du mur de Berlin, en novembre 1989. Le lecteur s’attend naturellement à lire un journal « politique ». Or si la question de la réunification allemande en est le prétexte, « l’exercice nonchalant » de Grass ‘ l’expression est de lui ‘ tient plus de la notation désordonnée que du journal de combat.
Dans le fatras des notes qu’il jette quotidiennement sur papier, les discussions politiques sont évoquées si sommairement qu’elles n’éclairent pas l’échiquier politique de l’époque. Le lecteur peu familier avec la société allemande aura beaucoup de peine à s’y retrouver et risque fort d’éprouver une grande frustration. Les notes contextuelles ajoutées par l’éditeur à la fin du livre ne suffisent pas à donner une réelle perspective aux notations de Grass. Plus intéressantes sont les lignes qu’il consacre à son travail de créateur et, plus intéressantes encore, celles où il parle de sa vie familiale et sociale.
Durant les pauses que lui laissent ses multiples va-et-vient entre l’Allemagne et l’étranger, motivés aussi bien par son activité politique que littéraire, on retrouve le pater familias rencontré dans Agfa box (2010), à la fois soucieux et ravi par son abondante progéniture. On renoue avec l’artiste polymorphe (graphiste, sculpteur, musicien) qu’on a vu s’épanouir dans Pelures d’oignon (2007). L’année 1990 ne fut pas une période d’écriture, mais elle fut productive sur le plan graphique. L’éditeur a d’ailleurs eu la bonne idée de reproduire certaines encres de cette période dans ce journal. Quand il n’écrit pas, Grass n’arrête pas de réfléchir à des œuvres nouvelles. Ses incessantes interrogations sur l’organisation de ses romans en gestation ‘ L’appel du crapaud qui paraîtra en 1992 et Toute une histoire qui paraîtra en 1997 ‘ révèlent avec quelle minutie il élabore ses intrigues.
Ce compte-rendu un peu fourre-tout qu’est D’une Allemagne à l’autre n’ajoute pas à la connaissance de l’histoire contemporaine de l’Allemagne et bien peu à celle de Grass lui-même. Ce livre entamé dans la ferveur politique et qui se termine par l’évocation des joies domestiques ne fera pas ombrage à l’immense réputation du Nobel de littérature 1999, mais disons qu’il n’y contribuera pas non plus.