C’est un bien beau premier roman que nous offre Antoine Rault avec Je veux que tu m’aimes, où s’emmêlent tristesse et fous rires, sublime enfance et maturité forcée. Rarement, d’ailleurs, un titre aura-t-il annoncé de façon aussi claire et efficace l’essence même d’un texte. Car chaque geste, chaque parole, chaque silence de David, le jeune narrateur, est mû, poussé, hanté même par ce seul désir : être aimé de Marlène, sa mère, qu’il semble importuner par sa seule présence – pire : son existence.
Aussi David essaiera-t-il tout, vraiment tout pour lui plaire, ou du moins obtenir son attention, ne serait-ce que l’ombre distante de son regard vaguement distrait. Et que peut-il faire d’autre, l’enfant convaincu de n’être pas aimé de son parent ? Que peut-il faire d’autre qu’essayer, essayer encore et encore d’exister pour des yeux qui ne le voient pas, se casser la gueule chaque fois, échouer lamentablement mais, néanmoins et envers et contre tout, réessayer à l’infini ?
Là réside toute la puissance dramatique du roman, sa tension. L’énergie que déploie David à conquérir sa mère est en effet de l’ordre du désespoir, de l’énergie du désespoir : celle de qui risque tout pour un projet, une cause, ici un amour, dont l’issue heureuse est pourtant loin d’être assurée. Et David, grâce à sa sœur Sophie et à son amie Anna de même qu’à la mère de celle-ci, a acquis une certaine intuition de l’amour véritable, celui qu’on n’a pas à mendier ou à acheter, celui qui donne, se soucie de l’autre, l’embrasse pleinement. Et plus il tente de se rapprocher de Marlène, et plus celle-ci le repousse, plus il doit se rendre à l’évidence : nul amour digne de ce nom ne devrait demander un tel oubli de soi.
Au fil des prises de conscience douloureuses de l’enfant, de ses échecs, de ses doutes et de ses déchirements, l’auteur propose en réalité une réflexion puissante et profonde sur la famille : ces fameux liens de sang censés être plus forts que tout autre lien, ces précieuses racines prétendument porteuses d’attachement, d’équilibre et d’identité. Certaines dynamiques familiales ne sont-elles pas parfois si troubles et malsaines qu’il faut absolument s’en arracher si l’on espère se trouver soi-même, trouver son air également, bref exister enfin ? C’est à tout le moins ce qu’on se surprend à espérer pour David : qu’il ait la force et l’amour-propre nécessaires pour arriver à se tirer de là, à se reconnaître lui-même et à se voir enfin dans toute sa splendeur, toute son intelligence, toute sa grandeur. Et le courage de faire de ses blessures ses alliées pour la suite – sa vie.