L’improbable greffe aura parfaitement réussi : la fiction déploie et approfondit la vérité historique. Katharina, qui côtoie les terribles pratiques du nazisme sans en percer le sens, entre dans la vie d’un des plus déterminants responsables de la « solution finale ». Entre elle et le puissant et très réel Reinhard Heydrich, la passion flambe aussitôt, mais Katharina demeure dans l’ignorance des mandats inhumains que sollicite et exécute son amant. Chargé de réprimer la résistance tchécoslovaque, Heydrich s’acquittera de sa mission avec rigueur et absence de scrupules. Il sera abattu le 27 mai 1942 par des parachutistes tchèques soutenus par la Grande-Bretagne. Là se tait le récit factuel et s’ouvre un autre pan de la fiction. Dominike Audet imagine, en effet, que Heydrich survit à l’attentat sans que le public en sache quoi que ce soit. Relogé discrètement en Suisse, il prépare à sa manière un après-guerre dont Hitler ne sait pas grand-chose. Katharina le rejoint et les amants sont enfin réunis. Pour y savourer leur amour au grand jour ? Loin de là. C’est plutôt le moment où la candide Berlinoise reçoit d’un Reinhard enfin repentant la révélation des horreurs perpétrées par le Minotaure.
Ce roman transmet une minutieuse reconstitution historique en même temps que le récit d’un amour volcanique entre une ignorance entêtée du réel et une ambition sans bornes. D’un côté, Katharina prépare sans en mesurer l’horreur les lettres qui expédient des centaines d’humains aux camps de la mort. De l’autre, Reinhard invente cyniquement les faux attentats qui serviront de prétexte à l’invasion de la Pologne, méritant ainsi les félicitations du Führer et la direction de l’Office central de sécurité du Reich. Sans insister, Dominike Audet note au passage les inimitiés que suscite la montée en puissance de Heydrich, inimitiés menaçantes même si l’amiral Canaris et l’Abwehr ne réussiront pas à empêcher les purges sanglantes imposées par Heydrich. Les derniers chapitres jettent un certain éclairage sur la jeunesse de Reinhard, sans pour autant justifier la démesure du Minotaure.
Un détail attire l’attention. À deux reprises, la fictive Katharina est enceinte de Reinhard. D’après l’histoire, « en 1931, ayant refusé de reconnaître un enfant né de ses œuvres, il [Reinhard] est cassé de son grade et exclu de la marine pour ’cause d’indignité’ » (Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale, T. I, Larousse, 1979, p. 905). Éclairante rencontre de l’histoire et de la fiction.