Si la réussite d’un roman se juge à la conciliation de l’improbable et de l’espéré, Attraction terrestre mérite tous les éloges. Si intervient, comme autre preuve de l’exploit, la rencontre entre l’inattendu et le logique, quel individu ne serait pas comblé par Attraction terrestre ? Comme ces conditions sont bellement satisfaites, voilà un livre à savourer. L’attraction, improbable et espérée, inattendue et logique, s’exerce avec raffinement et rapproche un embaumeur campé à la périphérie de la vie et un pianiste que le passage des ans chasse du circuit des vivants.
Tout commence sous le signe de la distance, du non-investissement. L’écriture, narquoise à l’occasion, toujours rebelle à l’implication, érode par touches légères le rempart dont l’embaumeur croit s’être entouré. Il a beau se soustraire à toute vie commune, éviter d’être complètement là où on le voit, tomber parfois dans « ces poches d’air absolument douloureuses qui s’appellent doutes », son respect des morts lui vaut celui des vivants qui l’écoutent ou le regardent. Souvent en rupture d’attention, il est distrait, gaffeur, trop franc pour la consommation sociale, mais, du même coup, intact. Quant au pianiste, il entrevoit si chaleureusement de quelle intuition est capable cet homme apparemment sans poids qu’il le prie de dire si sa carrière musicale et donc sa vie sont encore possibles. Ce rôle d’arbitre entre démission et entêtement, l’embaumeur n’en veut pas. L’improbable et l’espéré le relancent, toutefois, lorsque, d’une phrase, sa mère qu’il a pourtant gardée à distance elle aussi, le met en garde : « Il y a quelque chose d’inaltérable dans ce que les gens sont les uns pour les autres ». Cela suffit. L’embaumeur, dans une volte-face inattendue et dont on goûte la logique tardive, rend alors au pianiste déboussolé cette visite dont il ne voulait pas entendre parler. Se produit alors le contact : « Je ne veux pas le dire, je ne sais pas le dire, cette entité impalpable et secrète qui rayonne et dont Hu me faisait cadeau ». Cette entité, c’est l’âme. Cette attraction, c’est celle des terriens les uns pour les autres.