D’entrée de jeu, l’auteur indique ce qui nourrit son écriture : la résistance au « Même », à la pression du conformisme ; le refus d’entrer dans la logique de la concurrence individuelle et d’adhérer aux valeurs d’une société libérale qui a pour idoles l’argent, les médias et la technologie. Le poème devient ainsi un lieu où exercer une autre forme de présence, par l’intervention d’un « brouillard lyrique » qui permet d’estomper la réalité immédiate, de mettre à distance le contemporain. Il s’agit d’appréhender le monde non plus prioritairement par la vision ou l’intellect, mais en retournant au sentiment de l’existence, en traçant les contours d’une identité collective qui traverserait les frontières des nations et des sexes, tout en admettant l’abîme des subjectivités : « J’apprends à écouter le chant du refuge entre mes oreilles, la résonance de mon espèce fragile ». Par un repli sur l’espace intérieur le sujet s’éprouve comme caisse de résonance, et accomplit, paradoxalement, le programme que résume en un mot le titre du recueil, en se projetant à l’échelle du cosmos qu’il sent se répercuter en lui. Cette projection ressemble à une véritable migration et entraîne l’établissement de nouveaux repères identitaires, une recherche qui touche par la ferme résolution dont elle procède et qui donne au recueil son aplomb en y diffusant une note juste et pleine. Comment peut-on se concevoir et circonscrire son expérience quand on s’interdit de faire référence à son apparence extérieure et à sa mémoire, quand il devient impossible de baliser l’espace et le temps, voire de prendre appui sur tout élément tangible ? L’élaboration, notamment, de la figure du labyrinthe et d’un imaginaire du sang donne lieu à une convaincante prise de conscience de soi comme intériorité. La sensation du froid est aussi convoquée, en ce qu’elle suscite un saisissement du corps et de ses limites et nourrit un rêve d’involution, chargé du mystère et de la qualité archaïque qui déterminent la représentation du féminin dans le texte. Celle-ci fait appel à un dérangeant vocabulaire passéiste, avec des accents courtois et platoniciens, qui contribue à l’atmosphère surannée que cultive Ian Lauda, autre façon d’ouvrir le temps.
Un premier recueil original et pertinent, qui a cependant le travers de parfois laisser le lecteur à la porte tant domine l’inspiration surréaliste, dont la fluidité associative tend à faire valoir les aspects matériel et musical de la langue bien au-delà du sens.