Il est des romans qui tiennent au climat qu’ils créent et à la façon dont les événements qui s’entrelacent viennent appuyer les tensions et les inconnus qui se faufilent dans la trame narrative.
Ainsi en est-il du second roman de la poète Andrée Christensen, La mémoire de l’aile. Comme ce fut le cas avec le premier, Depuis longtemps, j’entendais la mer, celui-ci s’inspire de la mythologie sans pour autant chercher à s’y coller. Le souffle est poétique et la trame romanesque s’élargit pour laisser place à la puissance évocatrice de son verbe. Tout est question de climat, d’atmosphère.
Au centre de l’intrigue, Mélusine et Beltran dont les destins s’entrecroisent pour finalement se rejoindre. Mélusine qui connaît le langage des oiseaux et Beltran dont le nom signifie « brillant corbeau ».
Mélusine qui a déjà porté deux autres prénoms, chacun représentant une étape de sa vie. D’abord Angéline, la messagère, qui a en elle-même les traces des ailes et qui, à la suite de son viol, devient Lilith, la force primordiale « sauvage et solitaire », en se reconstruisant pour enfin s’assumer sous le nom de Mélusine, cette fée mi-femme mi-bête, « veilleuse et passeuse d’âmes » dont le chemin croisera Beltran, ce qui annoncera son quatrième nom qu’elle entendra en rendant l’âme. Un destin tragique, porteur de toutes les beautés et angoisses du monde, qui se heurte à la folie avant de la transcender.
Beltran, botaniste célèbre pour ses créations de roses blanches, pianiste aux prises avec sa peur de se laisser habiter par le « duende » qui le conduirait, comme ce fut le cas dans son adolescence, au plus profond de lui-même, ce qu’il affrontera alors que Mélusine « s’envolera ». Ce « duende » qui habite l’univers de l’Espagne dont est originaire Beltran et qui habitera son père à l’instant même de sa mort. Ce concept issu du flamenco et de la tauromachie que Federico García Lorca, lui-même personnage du roman, introduit en littérature, définit la démarche de Beltran et de Mélusine.
Le roman se construit comme un labyrinthe dans une série d’allers-retours entre présent et passé des deux personnages et de leurs parents. Et une fin comme un espoir.
Un très beau roman, complexe et fascinant, merveilleusement habité par une poésie qui nous emporte dans ce monde un peu trouble, presque incertain et pourtant si vrai.