Une fascination particulière émanera toujours des écrivains maudits, dont la destinée sordide s’allie avec une plume splendide et où, tôt ou tard, la vie empêche l’œuvre, quand ce n’est pas la vie, elle-même, qui n’est empêchée Qu’on songe à Rimbaud, Artaud, Rigaut, Plath ou Tsvetaïeva. À cette lignée s’ajoute Mireille Havet (1898-1932), dont l’œuvre, n’eût été du sauvetage opéré par les éditions Claire Paulhan, aurait sans doute bien tardé avant de trouver son lectorat, en supposant qu’elle l’eût trouvé.
Poète à ses débuts (Apollinaire la surnommait « petite poyétesse »), Havet a ensuite été romancière. On lui doit un magnifique roman à clefs, Carnaval (1922, réédition en 2005), qui rappelle par certains traits Le diable au corps de Radiguet. D’autres manuscrits ont été égarés, dont celui, au titre évocateur, de Jeunesse perdue. Reste alors la diariste, et quelle diariste ! Elle se place d’emblée parmi les plus grandes : Mansfield, Nin, Pozzi et tutti quanti.
Journal 1927-1928 est le quatrième tome du Journal dont la publication s’est amorcée en 2003. On y suit le quotidien de la jeune femme, du 1er juin 1927 au 30 décembre 1928, avec une régularité stupéfiante compte tenu de son style de vie échevelé. Les notes rapides des « Agendas » (imprimées en police de caractères Futura) sont intercalées aux textes plus élaborés du journal (police Bembo).
Le sous-titre, Héroïne, cocaïne ! La nuit s’avance , décrit bien l’un des propos essentiels de ce volume : la chute, qui va s’accélérant, dans l’enfer de la drogue, le manque d’argent et le désespoir. C’est le versant sombre de ce tome, le plus noir des quatre. Havet y consigne sa douleur et sa rage d’avoir été abandonnée par son amante d’alors, Robbie Robertson. Elle promène un regard d’une grande dureté sur sa vie, qu’elle assimile à une « poche de pus », et emploie des images très fortes pour décrire sa déroute et ses penchants suicidaires. On trouve aussi, quoique intermittent, un versant lumineux, qui tient aux évocations de la bohème parisienne des années folles (pionnière du BSuf sur le toit, Havet a côtoyé Jean Cocteau, Mary Butts, Georges Auric, Coco Chanel, parmi bien d’autres) ou des bains de mer à Nice et au cap Ferrat. Journal 1927-1928 nous fait suivre l’itinéraire d’une enfant terrible qui a fait (et perdu) le pari d’une liberté sans concession.
Voir « Mireille Havet », l’écrivaine méconnue du no 118 de Nuit blanche.