Ce n’est pas déprécier les admirables photographies de Bertrand Carrière que de considérer les textes de Guth Des Prez et de John K. Grande comme leurs dignes compagnons de route. Dans sa recherche des sites marqués durablement par le conflit de 1914-1918, Carrière a trouvé en Des Prez un éclaireur renseigné et d’égale émotion. Quant à Grande, il assume à l’étape de l’éclairage historique un rôle tout aussi déterminant d’enrichissant complice. Le résultat ? Une merveille.
En un sens, les photographies sont laissées à elles-mêmes. Pas de bas de vignettes. Aucune présence humaine dans les clichés du versant moderne ; à peine quelques silhouettes anonymes dans ceux de la guerre elle-même. Les images montrent tout simplement les traces émouvantes que le passage des ans, à son gré, respecte ou enfouit. Ici, les ornières dont on ne sait si elles trahissent la menace d’un blindé ou la banalité d’un pacifique tracteur. Là, un arbre qui ne dit rien, mais qui se souvient de tout. Grande a donc raison d’imputer à l’appareil photo de Carrière une sensibilité d’ordre archéologique : tout lui est bon, arbre, ruines ou reconstruction, pour recréer et dénoncer l’horreur éternelle de la guerre. Il n’est plus utile, face aux cris silencieux de la nature, de jurer que ce sera « la der de der » ou de s’enquérir du nom du vainqueur : la guerre, à un siècle de distance, n’est toujours et à jamais que crime, haine, inhumanité.
Il est particulièrement frappant que la rencontre de trois convergentes sensibilités doive autant au hasard. Qu’un album contenant des photographies prises pendant la Grande Guerre tombe entre les mains d’un homme capable de l’apprécier, c’était déjà inespéré. Que ce hasard se double d’un contact également inopiné entre un photographe en mal d’informations et un conteur amplement pourvu des connaissances souhaitées, c’était ajouter à l’improbable. Et qu’un spécialiste de l’histoire de l’art aussi renseigné que l’est Grande puisse saisir au vol le mandat de donner son sens éternel au parallèle réussi par Carrière et Des Prez, c’était, une fois encore, parier sur le moins certain. Apprécions à sa valeur une aussi rare conjoncture.