Voilà un livre dense, étrange et déroutant, à commencer par son titre. Ce récit ne se résume pas vraiment et il faut le lire d’une traite, sinon on risque fort d’en perdre le fil. Il faut aussi savoir que Per Odensten écrit sans trop se soucier des règles : chapeau, donc, à son traducteur !
D’entrée de jeu, l’introduction de Régis Boyer, le valeureux traducteur, laisse perplexe : « Il est bien évident qu’un pareil ouvrage ne saurait se passer d’au moins une timide tentative d’élucidation » (nous soulignons). Élucider un tel récit relèverait de l’exploit tant il foisonne en petits événements de rien du tout mais qui laissent toujours présager le pire, et chaque lecteur l’interprétera bien sûr à sa façon. Quant à moi, j’y ai vu surtout la mise en mots de cette part de solitude que chaque être humain porte en soi. « En outre ce silence dans les baraquements n’était pas l’absence de ce que l’on entend d’ordinaire en des lieux où vivent les gens. Il y avait des sons : des corps qui parlaient et remuaient Mais ce qui s’entendait n’était pas en route vers quelqu’un, vers quelqu’un qui écoutait et accueillait. C’était en route à partir de – loin. Comme si cela se précipitait dans sa propre dissolution à l’instant même où cela existait. Comme l’écho d’un mutisme »
Dans ce camp où vivent des gens dont on ne sait rien, les chefs dont on n’en sait pas davantage ont érigé le travail en remède. Remède pour apaiser l’ignorance dans laquelle on les tient : quel est le but que poursuit l’Autorité ? Quelle est la Maladie qui se fraie lentement un chemin entre les vivants ? Qui tire les ficelles de cette vie qui n’en est pas une ? Chez le lecteur, c’est une tout autre question qui se pose : quel est ce malaise diffus que l’on ressent tout au long du récit, cette vague intuition qu’un désastre ou la plus insoutenable des cruautés se tapit dans les prochaines pages ?
Régis Boyer dit encore qu’Une lampe à ténèbres lui rappelle Carlos Fuentes, García Márquez et Kafka. J’ajouterais que ce livre, sorte de fable morale, nous montre un monde déshumanisé façon Saramago. Mais qu’on se le dise, Per Odensten est unique et son roman, impressionnant !