Une main fantôme, celle du père, place un micro devant ses enfants réunis : « […] ainsi le veut la mise en scène paternelle ». Le P’tit Père démiurge, comme ils l’appellent, jamais à court d’histoires, enregistre ici leurs récits et confessions : « C’est lui tout simplement qui nous imagine ! » précise une des filles. C’est du moins ainsi que Günter Grass nous invite à concevoir et à lire cette manière d’autobiographie de l’auteur du Tambour et du Turbot. Et ça marche. C’est tour à tour et tout à la fois l’histoire d’une famille, celle d’un romancier, celle de l’Allemagne d’une certaine époque, dont on sent que le romancier la regrette. L’Agfa Box du titre, quant à lui, c’est l’appareil photo de la vieille Mariette ou Marie, la nounou, un appareil magique comme la littérature, dont elle ne se sépare presque jamais et qui retient dans son œil à la fois ce qui a été et ce qui aurait pu être, les fantasmes et les peurs, les bons comme les mauvais coups. Ces photos surprenantes, chacun se les rappelle ou croit se les rappeler. Métaphore, bien sûr, de la mémoire et de l’oubli, dans un récit très « parlé », fait d’échanges interrompus autour d’un repas.
Cela dit, l’intérêt tombe par moments, les aléas de la petite vie de tout un chacun ne nous rejoignent pas constamment, en dépit de l’habileté et du métier indéniables de l’auteur – 60 ans de pratique soutenue, quand même, ce n’est pas rien. Dans cette connaissance résident pourtant la force singulière de ce récit et son art : tresser tout ensemble des anecdotes, des réflexions et des dialogues qui soient à la fois examen de la situation de l’Allemagne passée et contemporaine, réflexion sur les rapports doublement imaginaires entre le créateur et ses personnages et exploration de la paternité.