Patrice Desbiens parle encore et depuis longtemps, par l’acte poétique, d’une profonde aliénation située au cœur du quotidien. L’art sera ainsi le révélateur d’un vide qui nous limite, sinon nous brise. Et cette esthétique n’est en aucun cas rédemptrice : elle EST, surgissant des petites failles anodines d’une pesante quotidienneté qui fait, par un curieux retour des choses, parvenir le poète à des considérations plus globales, disons « sociocritiques », sur l’inhumain mais toujours par l’art. Chez Desbiens, étonnamment, la vie quotidienne, malgré ou à cause de ses aléas, se fait œuvre d’art.
Ce livre est une réédition en un volume de trois œuvres de Desbiens, actuellement considéré comme un écrivain important de la francophonie dans son acception nord-américaine. Poèmes anglais (Prise de parole, 1988) marque la rupture avec Sudbury, sa ville natale. La solitude du poète ‘ exécré par une société capitaliste marchande ‘ se révèle inévitable, très difficile. Il vit dans un univers qui ne le comprend point, le rejette : c’est l’écriture d’un échec mais permettant à l’acte poétique de s’affirmer dans une langue crue.
Le pays de personne (Prise de parole, 1995), écrit à Québec, montre que l’intériorité rejoint les enjeux dits « collectifs » : deux malaises ‘ celui de l’être et du social ‘ pourront se rencontrer, et cela, toujours par la magie de l’écriture. Le poète exprime une absence à soi-même référée à une société et à une culture dans lesquelles le sens semble évacué. L’identitaire sera ainsi amalgamé au social plus vaste dans toutes ses dimensions, mais le poète apparaît constamment « aspiré » par le vide de l’aliénation… Il n’existe pas… sauf par l’écriture et toujours en errance.
Avec La fissure de la fiction (Prise de parole, 1997), Desbiens, ce « sans-abri de la poésie », adopte une voix plus narrative pour, encore une fois, évoquer une aliénation globale, familière où le quotidien prend carrément la forme d’un cauchemar. La poésie aimerait se faire roman mais elle l’emporte et condamne notre narrateur-poète à la solitude, à la misère sans la présence de solides ancrages : l’amour, la langue, une culture à visage humain, une terre d’accueil. N’y a-t-il ainsi, pour l’homme invisible, que la seule et unique perspective d’errer, de créer en l’absence figée de soi et de l’autre ?