L’enjeu n’est pas ici d’établir qu’Alexandre Mercier est capable de tuer, car les premières pages le montrent en pleine action. Le doute porte plutôt sur l’aptitude du personnage à contrôler ses frustrations. S’il perd les pédales à la moindre contradiction, Amélie Richmond sera bientôt rejointe par d’autres victimes. À l’astucieuse Maud Graham de localiser Mercier et de prévoir ses débordements.
Chrystine Brouillet a vite fait d’interdire à son lecteur les prévisions simplistes. Oui, Mercier a tué Amélie dès l’instant où elle a refusé de l’épouser. Non, il n’a pas assassiné Heather lorsqu’elle s’est payé sa tête. Ce qui semblerait une incohérence dans le profil de Mercier sera plutôt, l’auteure connaissant les trucs du métier, une façon de semer le doute. S’il n’y a pas d’automatisme chez Mercier, la gamme des possibles s’élargit. Tant mieux pour le lecteur !
Maud Graham est ici à la fois la policière des premiers romans et une autre. Sa vie s’est stabilisée, l’amour et l’amitié lui valent des sentiments plus prévisibles, la bonne cuisine lui coûte plus cher pour de plus vives délectations. Surtout, la policière exprime plus vertement ses opinions personnelles sur les défis du travail policier et sur la société. En ferait-on le reproche à Maud Graham que sa créatrice aurait beau jeu de rappeler qu’un roman n’est pas un décalque du code d’éthique des forces de l’ordre. D’emblée, le cours Fiction 101 lui donnerait raison : son statut de personnage de fiction autorise Maud Graham à bannir l’autocensure. Elle n’a pas « envie de faire l’effort de rester objective, d’avoir à dissimuler son mépris pour les conjoints violents ». Elle « regrettait parfois l’époque où les interrogatoires étaient plus musclés ». Maud Graham exprime même ses vues devant des témoins imprévisibles. Ainsi, elle met Anaïs en garde : « Nicole s’ennuie. Elle finira par vous dénoncer aussi à l’impôt. Ne la sous-estimez pas ». Personnage de fiction, Maud Graham se moque des plaintes que ses attitudes susciteraient assurément dans le quotidien policier. Peut-être l’auteure a-t-elle estimé qu’un personnage plus proche des convictions populaires semblerait plus vrai.