Sept chiffres, quatre lettres, aucun nom propre. L’intention du récit semble pourtant transparente : des hommes, identifiés par un chiffre, expient leurs crimes dans une étrange prison et révèlent leurs pensées et leurs différents recours contre l’ennui. Les quatre lettres réfèrent, de leur côté, aux directeurs qui se remplacent périodiquement. Ces surveillants exercent des pouvoirs invariables, mais une hiérarchie, héritée du passé des détenus, subsiste dans les maigres relations qui leur sont permises et dans celles, plus réduites encore, auxquelles ils consentent. Pour mieux humilier celui qui dominait le passé, c’est lui que l’on coiffe du chiffre 7, tandis que le plus modeste complice arbore le 1. Tel détenu s’apaise dans les travaux maraîchers ou horticoles, tel autre s’évade dans les mots croisés, un troisième s’étiole en redoutant l’infidélité de son épouse… Vies distinctes imprégnées de la même étrangeté.
Quand se produit le déclic et que le lecteur prend conscience de ce que dissimulent ces codes et ces références, le mystère trouve ses marques. De toute évidence, nous sommes à Spandau, prison berlinoise dont les innombrables gardiens n’ont à surveiller qu’une poignée de nazis condamnés à Nuremberg. L’histoire, que le récit côtoie sans l’interroger, rappellerait que c’est à Spandau que Rudolf Hess fut détenu interminablement, qu’il finit par être le seul occupant d’un coûteux pénitencier dont les quatre puissances victorieuses en 1945 assumaient tour à tour la direction. Les codétenus de Hess mourront ou seront libérés, mais jamais l’URSS ne consentira à ce que l’énigmatique Hess soit remis en liberté même après son 80e anniversaire. Si on la consultait, l’histoire s’avouerait encore et toujours mystifiée par le voyage effectué en avion par Hess en 1941. L’homme, qui avait servi de secrétaire à Hitler quand celui-ci fulminait son Mein Kampf en détention, avait-il reçu mandat de négocier une alliance avec Londres ? Trahissait-il en fuyant ? La tenace rancune de Moscou démontre-t-elle que Staline soupçonnait Hess d’avoir cherché à isoler l’URSS ? Questions pendantes.
Des chiens vivants parut pour la première fois en 1967. À cette époque, un public européen n’avait guère besoin de détails sur Hess ou sur la sélectivité des verdicts de Nuremberg. Il en va autrement aujourd’hui. En ce sens, les Presses de la Cité ont raté l’occasion d’en exhumer la fascinante genèse. Le récit se défend, mais il a perdu ses échos.