Sélective comme elle se permet parfois de l’être, la mémoire collective tend à réserver ce beau mot de résistance à une seule de ses incarnations : celle que la nation française a opposée à l’occupation nazie au cours du conflit de 1939-1945. Cet album prolonge d’instinct cette prééminence, mais nul lecteur d’aujourd’hui, d’ici ou de France, ne peut s’y plonger sans songer aux conflits actuels et aux résistances qu’ils méritent eux aussi.
Pour tout Québécois qui n’en est pas encore au départ à la retraite, la résistance des années 1940 appartient à un passé inexistant et à un environnement inconnu. Les auteurs ne facilitent pas les choses en présumant que les gloires nationales et les régions et départements de France sont choses familières urbi et orbi. L’album enjambe pourtant ce hiatus et transmet un message puissant. Par ses photographies, par ses témoignages, par ses pudiques allusions aux deuils pleurés, il assène sa vérité : les maquis des années 1940 ont affronté des comportements humains qui font également la honte de notre époque et contre lesquels elle devrait à son tour « 0entrer en résistance0». L’actualité est là, en effet, qui prouve la permanence de la bestialité. La résistance d’hier et de là-bas, elle est de nouveau exigible, requise qu’elle est par tout le dégoût que l’humanité peut rassembler.
L’angle privilégié par les auteurs de ce rappel, c’est celui de la résistance des cercles familiaux. Ce combat, qui engage la personne en même temps que tous les siens, exige et coûte plus que tout autre. On se doute bien que la résistance d’un individu entraîne dans ses dangers toute la famille et même la parentèle. Ce qui frappe moins la sensibilité, c’est que l’implication de la famille dans la résistance fournit une prise supplémentaire à ceux qui ne s’interdisent aucun moyen de pression : pour un tortionnaire, la famille est le chaînon fragile de la résistance. Comment se taire quand la fille est violée, le père face au peloton d’exécution, la mère expédiée vers les camps de la mort ?
À lire les pages qui racontent ces chantages méprisables et nauséabonds, ce sont nos propres responsabilités qui quittent la stratosphère des débats parlementaires : la torture était ignoble, elle l’est toujours.