La décennie 1960-1970 fut marquée en Occident par la libéralisation des mœurs, entraînée, entre autres, par la disponibilité des moyens de contraception, l’accès au divorce, la dépénalisation de l’avortement et la confirmation de la place des femmes sur le marché du travail. De plus, tout devenait permis, et l’amour se vivait librement. Pascal Bruckner décrit très bien le phénomène en affirmant qu’« on voyageait de lit en lit mieux qu’à la surface du globe ».
Et puis survinrent le sida, le capitalisme dur et l’imposition d’un ordre moral qui épuisèrent le mouvement. Pour celles et ceux qui écrivaient sur les murs qu’il est interdit d’interdire, ce fut le constat, pénible, que la liberté n’était pas un relâchement mais un surcroît de responsabilité. « Elle résout moins de problèmes qu’elle ne multiplie les paradoxes », écrit l’essayiste. De plus, les adeptes de l’amour libre se firent jouer un vilain tour par la vie : le vieillissement. Au dire de Bruckner qui a vécu cette décennie, le prix de cette libération fut le droit à la solitude. C’est ainsi que ce qui avait été perçu comme une révolution s’est finalement révélé être un processus qui s’est achevé sans faire de vagues.
Si, au cours de la décennie 1960-70, on croyait avoir trouvé la réponse en l’amour libre, qu’en est-il aujourd’hui ? Selon Bruckner, il existe toujours un tiraillement entre deux projets possibles : ou rétablir l’amour comme source de liberté et réhabiliter la famille traditionnelle, ou tout renverser, en terminer avec le couple, et vivre librement. Comment l’amour qui attache peut-il s’accommoder de la liberté qui sépare ? Faut-il choisir entre le mariage et l’érotisme ? Peut-on se contenter d’un amour imparfait mais solide ? Ce sont là quelques-unes des questions que soulève le paradoxe de l’amour. Bruckner partage toutes ces questions dans une réflexion écrite d’une plume vive et alerte mais dont l’ensemble ne surprendra pas le lecteur habitué à s’interroger sur ce sujet.
Au final, l’auteur semble pencher du côté d’une évidence : celle de la permanence de l’amour qui traverse le temps silencieusement, sans faire de vague ni de graffiti sur les murs.