Après les récents chefs-d’œuvre de Don DeLillo, Jay McInerney ou Joseph O’Neill sur les événements du 11 septembre 2001, voici un autre roman éclos dans l’ombre des regrettées tours jumelles de New York. La particularité du roman de Colum McCann consiste en l’évocation du drame 27 ans avant qu’il ne survienne. Et que le vaste monde poursuive sa course folle se déroule en effet en 1974, l’année où Philippe Petit fit beaucoup parler de lui en traversant le World Trade Center sur un fil de fer. C’est d’ailleurs sur l’exploit du funambule français que s’ouvre le roman, en quelques pages d’une prose d’emblée maîtrisée et envoûtante.
Ce superbe roman a déjà été couronné par le National Book Award et par le prix du Meilleur livre de l’année (Lire). L’intrigant titre, Et que le vaste monde poursuive sa course folle (en anglais : Let the Great World Spin), provient d’un poème d’Alfred Lord Tennyson, « Locksley Hall » (1842), lui-même inspiré de poèmes arabes du VIe siècle, les Mu’allaqât. Pour évoquer la « course folle » dans laquelle la planète est engagée, McCann a choisi de raconter non pas une, mais plusieurs histoires, celles d’une poignée de personnages dont les destinées vont s’entrecroiser, tantôt de manière fugace, tantôt de manière décisive, voire tragique. Tout l’art du romancier irlandais tient à l’intensité des personnages auxquels il donne vie, tels Corrigan, le moine irlandais qui vient en aide aux prostituées du Bronx ; ou Claire et Gloria, deux mères, l’une blanche et riche, l’autre noire et pauvre, dont les fils ont péri au Vietnam ; ou enfin, Tillie, prostituée et grand-mère de 38 ans, qui, après la mort de sa fille Jazzlyn, jette un bouleversant regard sur sa vie fauchée si tôt. Il y a certes beaucoup de tristesse dans ce roman, mais aussi beaucoup de beauté, car McCann dépeint des êtres qui se relèvent.