Sous l’empire des courriels expéditifs et des étourdissants « textos », l’art de la formule se perd, ou se gagne, c’est selon. Il est rare en tout cas de lire des ouvrages où l’on se surprend à vouloir souligner chaque phrase, où chaque mot est aussi pertinent que celui qui le précède ou le suit. Les livres d’André Comte-Sponville en sont. Une langue française aussi douce et maîtrisée que celles, disons, de Diderot ou de Stendhal (en plus moderne, en plus accessible). Une précision, une concision façon Montaigne. Ce n’est pas peu dire0: ces propos regorgent, à même les paragraphes, de maximes dignes de La Rochefoucaul.
Bon. Assez pour l’hommage. La pensée est claire, on s’en doutait. Mais Le goût de vivre et cent autres propos, « de kessé ?0», comme l’écrirait un jeune pas même sorti de Zazie. Le propos, dirions-nous, est un genre philosophique et littéraire, qu’on attribue parfois au maître Alain (Émile Chartier pour les intimes, 1868-1951). Tous les jours, Alain signait un billet philosophique dans un journal de province. L’entrefilet journalistique, avec une surprenante dose d’esprit. C’est un genre auquel André Comte-Sponville s’exerce depuis des années, Le goût de vivre offrant une sélection parmi quelques centaines de textes parus dans des publications variées0: L’Express, L’Événement du jeudi, Impact Médecin Hebdo, Le Monde des Religions, Psychologies Magazine… Et les sujets ne manquent pas0: la jalousie, l’immigration, la mode, les saisons, l’athéisme, les limites de la morale, la barbarie enfantine, la question juive, les théories freudiennes, les droits de l’homme, les compositeurs de génie.
Mais revenons à Alain. Comte-Sponville, depuis toujours lecteur et admirateur de son précurseur normand, précise d’emblée qu’il n’en partage pas toujours la philosophie. C’est un peu Spinoza contre Descartes, mais bon, comme il le dit si bien, « s’il fallait n’admirer que ceux dont on partage les vues, quelle tristesse, quelle petitesse, quel ennui ! »
Dans tous les cas, ces propos révèlent un profond désir de partage. Car il faut encore souligner une chose, que l’auteur rappelle constamment, magistralement, et de 101 façons : la philosophie, ou ce qui mérite vraiment ce nom-là, est tout le contraire d’une tour d’ivoire.