Ce livre de grand format contient les paroles – sans les partitions – de cent chansons québécoises ou traditionnelles choisies par Bruno Roy (1943-2010), auteur respecté et spécialiste de la musique d’ici depuis plus de trente ans (souvenons-nous de son excellent Panorama de la chanson au Québec, Leméac, 1977). On y reconnaîtra en ordre chronologique les textes de plusieurs de nos « classiques » : « Quand les hommes vivront d’amour » de Raymond Lévesque, « Sur l’perron », une chanson interprétée par la jeune Dominique Michel, puis « Frédéric » de Claude Léveillée, « Mon pays » de Gilles Vigneault, « La Manic » de Georges Dor, « Lindberg » de Claude Péloquin, interprétée par Robert Charlebois, et plusieurs autres. Je me réjouis de trouver ici les textes de « Marie-Hélène » de Sylvain Lelièvre, de « Mes blues passent pus dans porte » de Pierre Huet pour Gerry Boulet, mais aussi d’indéniables succès de la radio, comme « Quelle belle vie », unique chanson à succès de Gilles Rivard (disparu prématurément), ou encore « Aimes-tu la vie comme moi ? » de Boule Noire. Les transcriptions sont intégrales : « Ça boé de la robine pis ça r’garde les vitrines » (dans « Les pauvres » de Plume Latraverse).
On peut comprendre que c’est la qualité des textes, plus que la musique, l’interprétation ou le succès d’une pièce qui ont servi de critères dans le choix opéré. Ainsi, l’auteur a retenu « La Gaspésienne pure laine » de La Bolduc, et non sa célèbre turlutte « J’ai un bouton su’l bout d’la langue ». Toutefois, la sélection devient discutable après 1965 ; j’aurais certainement inclus « Gens du pays » de Gilles Vigneault, « Qu’est-ce que ça peut ben faire » de Jean-Pierre Ferland et « Si Dieu existe » de Claude Dubois. La musique pop des années 1960 reste un peu négligée ; pourquoi ne pas reconsidérer « Blue jeans sur la plage » de Claude Domingue et Louise Rousseau pour les Hou-Lops ? Une chanson si inoubliable que l’on croirait presque qu’il s’agit d’une traduction d’un succès américain. Et on ne trouve rien ici de Lynda Lemay… Pourquoi cet oubli ? Bruno Roy nous invite par ailleurs à découvrir quelques belles chansons méconnues, comme « Les enfants d’un siècle fou » de Francine Hamelin et Marie-Claire Séguin.
Je crois que le principal problème de ce florilège réside dans l’exigence d’équilibre qui demeure implicite dans ce genre d’anthologies : à vouloir représenter équitablement toutes les époques et ne pas accorder trop d’espace à certains paroliers pourtant plus grands que nature, on a mis ici sur le même pied des artistes émergents (regroupés dans les 30 dernières pages) et des pionniers d’envergure internationale, comme les Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Robert Charlebois, Jean-Pierre Ferland et Michel Rivard, qui sont restés inégalés. Pour ma part, j’aurais certainement doublé la présence de ces derniers, quitte à restreindre celle accordée à la nouvelle génération.