Cette biographie accole de stimulante façon deux relevés complémentaires et différents. Complémentaires parce que différents. Léo Beaudoin suit d’aussi près que possible, mais avec un parfait recul critique, le déroutant personnage qu’est Jacques Viger, tandis que Renée Blanchet présente, en poussant la discrétion jusqu’à l’effacement, une tranche substantielle et étonnante de la correspondance entre Viger et son épouse. Dans les deux cas, la prudence est à l’avant-scène, prudence de mise devant un personnage protéen.
De Jacques Viger, on retient surtout qu’il fut le premier maire de Montréal. Ce n’est pas beaucoup dire, puisque le poste appartenait à l’époque non pas à une personne choisie au suffrage universel, mais au conseiller municipal désigné par ses pairs. Pareille désignation attire pourtant l’attention sur les plus marquantes caractéristiques du personnage : l’entregent, la minutie, l’aptitude à jeter des passerelles entre les intransigeances. Précis et rigoureux autant que Viger, Léo Beaudoin ne prétend pas au jugement définitif ou complet. Des énigmes résistent, comme celles qui concernent la succession de Viger. Pourquoi ce méticuleux a-t-il omis de rédiger un testament ? Comment a-t-il pu ne laisser que des dettes (et des documents) ?
Quant à la correspondance entre Viger et son épouse, elle comblera les stratèges militaires plus que les courriéristes du cœur. Les époux ne lésinent pas sur les mots tendres, mais les lettres du mari décrivent surtout les combats contre les Étatsuniens. Tout y est, y compris la description des lieux ! La censure qu’imposent nos guerres modernes en tomberait malade. Une constante : qu’elles datent de la guerre ou de telle session parlementaire, les lettres de l’épouse vantent souvent les avantages de la modération, qualité dont Viger ignore tout. Peut-être peut-on voir là une conséquence de la différence d’âge : au moment du mariage, Viger a 21 ans et Marguerite est une veuve de 33 ans déjà mère de plusieurs enfants.
Biographie et correspondance brossent de Viger un portrait contrasté. L’homme est lié de mille manières aux clans Papineau et Viger, mais il l’est aussi intimement aux ultramontains.