Publié initialement en 1986, Les rajahs blancs est le septième livre de Gabrielle Wittkop paru chez Verticales depuis 2001. Alors que la romancière est réputée pour traiter de thèmes dérangeants dans un style somptueux, elle s’abstient, dans Les rajahs blancs, de puiser dans la même veine sadienne que Le nécrophile (1972) ou La marchande d’enfants (2003). Le roman s’inspire de la vie de l’aventurier James Brooke (1803-1868), ancien lieutenant de l’East India Company qui fonda la dynastie des rajahs blancs de Sarawak en 1841. Wittkop retrace les 105 ans d’existence du Raj britannique et dresse un portrait contrasté des trois rajahs blancs : James Brooke, le chasseur de chimères, dont s’inspira Joseph Conrad dans Lord Jim (1900) ; son neveu Charles, le bâtisseur hasardeux, francophile et ladre passionné, de même que le fils de ce dernier, Vyner, grand viveur et héritier du trône récalcitrant.
Ce n’est pas la première fois que Wittkop puise son inspiration dans l’histoire. Elle a déjà consacré des ouvrages à Hoffmann, à Madame Tussaud et à l’abbé de Choisy notamment, alors que Sérénissime assassinat (2001) avait pour cadre Venise au siècle des Lumières. Pour Wittkop, « l’histoire est toujours fictive, une sorte d’allégorie ». Dans Les rajahs blancs, son traitement de l’histoire suppose une érudition folle, mais la romancière n’en fait jamais étalage. Au contraire, plutôt que d’alourdir la narration de portraits détaillés des nombreux acteurs intervenant dans la saga du Raj, elle use savamment de l’ellipse. On s’y perd parfois parmi les personnages secondaires, mais c’est sans conséquence, car on se laisse envoûter par le souffle épique qui émane des Rajahs blancs et qui doit beaucoup, assurément, à ce travail de l’ellipse. Certaines figures demeurent d’ailleurs inoubliables, tels Rentap, le bel insurgé résolu à mourir debout, ou l’extravagante ranee Sylvia.