Il est né en pleine crise économique, a grandi dans l’après-référendum, a aimé, a pas mal bu, jure facilement, a porté le vieux flambeau de Miron et croit que l’on peut encore souhaiter vivre en dehors du confort et de l’indifférence. Il n’a pas trente ans, il fait de la poésie pour sa mère « qui n’a qu’un secondaire cinq », pour son père mécanicien, son frère « qui n’a qu’une sixième année », pour « tous ces intellectuels inconnus qui en ont assez qu’on les prenne pour des anus de mouches à enculer », écrit-il dans son premier recueil, Vers quelque (sommes nombreux à être seul), prix Félix-Leclerc de poésie.
Danny Plourde remportait aussi en 2008 le prestigieux prix Émile-Nelligan pour son deuxième livre, Calme aurore (s’unir ailleurs, du napalm plein l’œil). Et paraissait ce printemps, toujours à l’Hexagone, Cellule esperanza (n’existe pas sans nous), véritable charge contre notre société bien-pensante. Ces distinctions et l’attention qu’on porte à son œuvre sont peut-être le signe qu’on a besoin d’une parole qui ne mâche pas ses mots. « [P]ersonne ne pourra me faire croire / au vide de ma culture / pas même ces cancres désSuvrés / qui nous vouent aux petites croûtes / tous ces rapaces de poètes carriéristes / qui profitent de la mode du silence. » Si l’on articulait l’histoire de la poésie en deux pôles dominants, les textes de Plourde s’inscriraient sur le versant engagé, voire enragé issu du courant contestataire des années 1970, contre le versant formel et esthétique d’une littérature intimiste. Il renoue à sa façon avec le mythe du poète-messager, ce personnage hors norme, sorte de fou de dieu venu sur terre pour ébranler les consciences.
Dès son premier recueil, Plourde prend le parti du dire : le vers quelque du titre, qui revient d’ailleurs comme un leitmotiv, signifie justement cette volonté d’aller envers et contre tout dans une direction que l’on sait être absurde ‘ qu’est-ce que ce chemin a de meilleur que les autres ? ‘, mais qui donne néanmoins espoir à soi et aux autres. Errer, comme tous les autres poètes que la terre a portés, mais errer seul vers quelque quelque chose qui ressemble à une communauté de solitudes.
Miron n’est pas loin. D’abord, sur le plan strictement formel : souffle peu économe, envolées lyriques, métaphores puisées dans la réalité matérielle, inventions verbales (entre autres à partir du patronyme) Mais surtout, Danny Plourde ne cache pas son appartenance au pays. Comme il l’écrit à la fin de Vers quelque où il rend d’ailleurs hommage à notre poète national, pour lui la poésie est le lieu d’une parole authentique, jaillie du cœur. Et ce cœur, ici, est intimement lié à la notion de pays. Le pays de Miron, le Québec, cette « nation de pas d’pays », comme le dit si bien Plourde. Il est pour le moins surprenant de retrouver aujourd’hui, chez un jeune poète, une telle ferveur nationaliste, et de façon aussi constante.
La notion de pays, toutefois, prend une tournure inattendue dans le second recueil. Le grand nationaliste, bien de son temps, rencontre une femme qui ne parle pas un mot de français, habitant à l’autre bout de la planète, en Corée du Sud. La seule langue de communication est l’anglais honni. Il y a quelque chose de tragique, donc, à dédier à son aimée un livre qu’elle ne comprendra jamais. Quelques mots en coréen ponctuent les textes, de petits ponts fragiles, sans plus. Le rêve mironien s’élargit : un pays neuf, et ouvert sur le monde, qui tient compte des injustices vécues ailleurs que sur son territoire. Mais le rêve est-il réalisable lorsqu’on ne sait plus si on va y habiter, dans ce pays ? Qu’il est partageable à moitié ? Amour, mais souffrance aussi habitent ce recueil traversé par un souffle qui n’a rien à voir avec une « poésie du silence » toute en demi-teintes.
Le souffle est sans doute la plus grande qualité formelle des trois recueils. Avec l’ironie peut-être. Nous sommes ici dans l’exubérance, l’explosion. Et le dernier recueil est en cela exemplaire : 132 pages de hargne bien tassée, pas un instant de répit. La révolte reste intacte, pour ne pas dire vierge de toute paresse, d’un bout à l’autre. On est peut-être moins ému par ce recueil, mais on est par contre saisi par l’ampleur de l’indignation. Est-ce de la poésie ? se demande même le poète à la fin du livre. Et l’on peut en effet se demander à sa suite : est-ce qu’il s’agit de tronquer des phrases, de mettre des blancs entre les mots, de cuire juste assez ses métaphores pour appeler ça de la poésie ? Est-ce que la poésie réside dans la rage, dans la marginalité, dans le fait d’outrepasser les règles de la bienséance ? Danny Plourde nous offre ici une poésie brute, proche de l’oralité, qui aligne sacres, québécismes pour mieux dire l’authentique espoir d’un monde meilleur et bousculer notre inertie de pollueurs esclavagistes anéantisseurs. Lucide, il sait le peu d’audience qu’aura sa parole. « La poésie ne suffira plus ou bien le poème sera la Victoire d’un homme contre lui-même sur une île déserte menacée par la Fonte des pôles. »
On a répété que le message tue la littérature. Qu’à trop vouloir dire, on ne se faisait plus entendre. Si parfois la parole de Danny Plourde martèle plus qu’elle n’évoque, elle a su néanmoins redonner à la figure du poète la petite place qu’elle aurait dû sauvegarder à grands cris, celle de tous les artistes et intellectuels : miroir au milieu des autres.