Après la ville hantée-vampirisée de Salem (Alta, 1977) et l’hôtel Overlook enténébré par des rumeurs maléfiques de Shining (Alta, 1979), nous sommes, avec cette dernière œuvre du maître de l’horreur, en présence de forces portant, à la fois, la créativité propice à l’émergence de l’art et le pouvoir insolite de détruire tout ce qui est. Ces forces sont concentrées sur Duma Key, une île faisant partie d’un chapelet d’îles bordant la côte de la Floride face au golfe du Mexique. C’est ainsi une île hantée qui sera le lieu principal de ce roman, une île hantée par des entités démoniaques qui vont « appeler » sinon happer littéralement le principal protagoniste de cette curieuse histoire.
Edgar Freemantle, dirigeant richissime d’une importante entreprise de travaux publics du Minnesota, la Freemantle Company, va connaître, après une période de grande prospérité, de sérieuses difficultés financières, et cela, doublé d’un accident de chantier quasi fatal le laissant infirme et presque seul. Mais il a encore des ressources tant matérielles que psychologiques et artistiques. C’est en décidant de s’exiler sur Duma Key, d’y louer une mystérieuse résidence (surnommée « Big Pink ») qui semble l’attendre, que son destin basculera. Un intérêt pour la création artistique ‘ dessin, peinture ‘ habitait déjà Edgar Freemantle avant l’accident qui lui procure, entre autres, le don de divination, un genre de « shining » ou de clairvoyance, comme pour le personnage de John Smith de Dead Zone (L’accident) (Lattès, 1983). L’arrivée sur l’île déclenchera ainsi chez lui une irruption de créativité qui semble lui faire habiter tant l’univers des grands créateurs américains qu’un monde obscur et des dimensions parallèles, inconnues dans son « autre vie ». Mais quelles sont ces « forces » qui vont faire naître un génie artistique tout en lui demandant, cependant, de rendre des comptes ? Notre héros aura donc de surprenantes ‘ sinon terrifiantes ‘ contradictions à affronter. Comme c’est souvent le cas chez King, le Bien et le Mal s’enchevêtrent et donnent lieu à un étonnant ballet de figures horrifiques très déconcertantes.
Et des réflexions pertinentes sur l’art ‘ Salvador Dali sera souvent évoqué ‘ parcourent cet étrange roman au style ample, évocateur et instaurant une ambiance parfois dérangeante, car l’horreur y est réellement esthétisée, comme contenue tout en surgissant parfois en éclats fulgurants. C’est là la force de cette œuvre comportant, par contre, trop de longueurs : ce qui atténue, parfois, les « effets de sens » qui semblent s’étioler, devenant évanescents. L’on pourra ainsi regretter la concision percutante des œuvres de Stephen King publiées sous le pseudonyme de Richard Bachman dont le surprenant Blaze (Albin Michel, 2008).