Livre de militant. Chaleureux, pressant, farci de témoignages incisifs, marqué par la solidarité et l’espoir. Sans cynisme ni ton revanchard, Pierre Mouterde profite toutefois des spectaculaires ratés du modèle néolibéral pour inciter son époque et les nouvelles générations au partage plus équitable des ressources humaines et spirituelles. Il affirme même, non sans une juvénile candeur, que la cohorte montante jouit d’avantages conceptuels sur ses devancières : « Parce que nous sommes des vivants existant aux temps présents, parce que nous sommes à la pointe de cette flèche du temps au travers de laquelle ne cesse de se constituer et reconstituer l’humanité, nous avons le privilège de pouvoir regarder derrière nous avec un peu plus de distance que les générations précédentes ». Mouterde trace ainsi sa ligne de partage des eaux entre, d’un côté, ceux que freine la finitude de l’existence humaine et, en face d’eux, les fervents qui parient sur la vie et, plus précisément, sur le flux du présent. D’un côté, « tristesse et impuissance », selon le glas de Miguel Benasayag ; de l’autre, une philosophie nouvelle qui réaffirme qu’il est urgent, possible, enthousiasmant d’agir sur le réel.
Mouterde ne joue donc pas les équilibristes. La philosophie qui l’émeut, c’est celle qui sait « se préoccuper de ses liens pratiques avec la collectivité des humains, au sein de laquelle elle cherche à se faire entendre ». Cette philosophie tourne le dos aux courants mortifères (expression récurrente) et privilégie la capacité d’incarnation des idées, même s’il faut glisser plus vite sur les mérites abstraits.
Le propos est séduisant : « […] participer à la reconstitution d’une conception du monde qui ne craindrait pas d’être holistique, prométhéenne et orientée vers la vie ». Plus que sur la rigueur théorique, il se fonde sur ce que Freud aurait appelé l’instinct de vie. Mourterde en est d’ailleurs conscient : « En sachant cependant que toutes ces caractéristiques recherchées visent avant tout à nous défaire de ce sentiment collectif d’impuissance et de tristesse dont nous avons parlé au début de cet essai ». Propos séduisant, répétons-le. Il ne serait pourtant pas mortifère de demander au siècle qui s’entrouvre de ne pas répéter les errances généreuses et meurtrières du siècle refermé. La mémoire ne cautionne pas forcément l’instinct de mort.