Poète du Grand Jeu, passionné des philosophies orientales, auteur du Contre-ciel et du Mont Analogue, René Daumal est l’un des écrivains français les plus importants du siècle dernier. Son œuvre ‘ tant sa poésie que ses textes en prose ‘ demeure un exemple de rigueur intellectuelle et de pure révolte, de pur « éveil » (terme si cher à Daumal).
La Correspondance avec Les Cahiers du Sud regroupe environ 70 lettres échangées entre Daumal et Jean Ballard, second directeur des Cahiers, entre 1929 et 1944. Le reste de la correspondance est composé d’une cinquantaine de lettres échangées entre Ballard et quelques-uns des proches du poète, principalement son épouse Véra, de 1944 (année de la mort du poète) jusqu’à la fin des années 1960. Aussi nous est-il donné d’assister à la fois au difficile quotidien de l’écrivain (travail acharné, pauvreté, guerre, maladie) et à la vive et persistante douleur qu’imposa à ceux qui le chérissaient sa mort pour le moins prématurée (il n’avait que 36 ans).
On retiendra d’abord de ces lettres l’énergie affolante du créateur, toujours prêt à répondre à une demande, à entreprendre, à poursuivre un projet qui lui tenait à cœur, à contribuer à la diffusion des grands textes sacrés de l’Inde. Auteur d’une œuvre parfois violente, Daumal nous apparaît ici dans toute sa douceur et toute sa sagesse. Ballard le dit magnifiquement : « Je revois en relisant ces lignes l’homme sûr et transparent qu’il était, dont à travers le regard bleu on voyait le fond de l’âme ». On retiendra également le dévouement sans bornes de Véra Daumal qui, après la disparition du grand amour de sa vie, ne cessera de veiller à la survie de son œuvre (rééditions, contributions à la publication d’inédits et d’hommages divers).
Du partage de ces échanges intimes, on ressort troublé, ému. On est, dans un premier temps, en quelque sorte rassuré, apaisé devant la profondeur du respect et de la chaleur qui soutenaient ces rapports. L’estime de Ballard pour Daumal, par exemple (il fut l’un des premiers à publier ses poèmes, ne l’oublions pas), ne perdra en aucun moment de sa force. Par contre, on éprouve une bien grande tristesse devant les conditions de vie exécrables que Daumal aura dû souffrir. Cette même tristesse qui nous envahit à la lecture des Écrits de Rodez d’Artaud ou du Journal de Kafka. Tristesse de l’évidence : les sociétés rendront-elles donc toujours la vie impossible aux esprits les plus brillants, ceux-là mêmes qui pourraient transformer la vie, la libérer des chaînes de l’immuable réalité ? La réponse est dans la question, bien sûr. Et c’est bien là toute la tristesse.