Écologie, jeux de coulisses, hégémonie politique, sciences pures et appliquées, autant de mondes désormais imbriqués les uns dans les autres et dont les ambitions hésitent entre l’affrontement et les osmoses. En ce temps et plus encore pendant celui qui se profile, les vendeurs de pétrole fréquentent les fabricants d’armes, les laborantins se partagent entre la recherche à portée guerrière et les avenues socialement prometteuses, l’information oscille entre l’aération de la démocratie et les conditionnements inavouables… Autant de thèmes qui affleurent dans cet énorme roman de Frank Schätzing et vers lesquels l’auteur infléchit la réflexion. Le risque d’aboutir à une macédoine immangeable était grand ; il est bellement écarté.
Le titre unifie les différentes interrogations : les abysses océaniques cachent aujourd’hui encore plus de mystères que l’espace intersidéral et nul Hubble n’éclaire les grands fonds à plus de cent mètres de distance. Dès lors, si les créatures, gigantesques ou unicellulaires, qui peuplent les mers s’insurgent contre les prédateurs humains, les continents émergés constatent qu’ils ignorent tout de leurs vis-à-vis. Or, voilà que les baleines coulent les barques des pêcheurs, que les requins émigrent hors de leurs repaires usuels, que les indestructibles plates-formes pétrolières sont secouées, que le Gulf Stream s’attiédit. Comme il se doit, la hiérarchie politico-militaire conclut à un noir complot terroriste ; hypothèse loufoque et pourtant âprement défendue. Peu à peu, toutefois, sous l’influence d’humains capables de rigueur et de pondération, les questions se précisent : quel interlocuteur est à l’œuvre ? Quel message lance-t-il ? Et surtout : comment communiquer avec lui ? Schätzing fait clairement ressortir une certitude : seule la convergence du politique et de la science, de l’humanisme et de l’humilité peut nourrir l’espoir d’une survie de l’humanité.
L’ombre de Carl Sagan plane sur cet immense questionnement. Dans Contact (Mazarine, 1986), Sagan avait placé la planète Terre face à un message surgi de l’espace et révélant que des extraterrestres surveillaient les humains. À l’époque, malgré le clivage entre les grandes puissances, Sagan avait imaginé comme réaction humaine la solidarité de tous. Schätzing, à partir d’un message lui aussi émis par un interlocuteur peu familier, se montre moins optimiste. L’hégémonie étatsunienne juge inutile le dialogue et la négociation et cherche dans son arsenal la force qui abattra l’ennemi. On pourrait reprocher à l’auteur de caricaturer la Maison-Blanche et le partenaire de Dieu qu’est Bush, ou regretter l’intrusion d’une fantasmagorie à la Jaws dans un débat éthique ; on devra envisager comme terriblement plausible l’entêtement militaro-industriel dont l’humanité, en de telles circonstances, ferait les frais. Un bon suspense et un questionnement nécessaire.