Le vent de la Lune poursuit le travail de mémoire de l’écrivain espagnol Antonio Muñoz Molina. Avec l’élégance et la chaleur qu’on lui connaît, il nous propose ici de revivre l’été de 1969, celui où l’homme marcha pour la première fois sur la Lune. Mais, pour l’adolescent qu’était alors le narrateur, cet été-là marque surtout la fin de « l’état de grâce de l’enfance », laissant entrevoir déjà les innombrables rudesses de l’âge adulte. Aussi le premier face-à-face avec la mort, les premières rêveries érotiques, les premières grandes lectures côtoient-ils une profonde remise en question des valeurs reçues (travail, famille, religion) et une non moins profonde difficulté de s’arracher à la douceur des flâneries d’écolier.
En fait, à travers la fascination de l’adolescent pour la mission d’Apollo XI, c’est tout son malaise, toute son hésitation entre désir d’évasion et attachement aux racines qui se déploie. Entre deux âges, entre deux ères, il traîne son arrogance, sa pudeur, sa solitude. Et Muñoz Molina, suivant les déambulations de son personnage, propose ici une bien belle réflexion sur le passage du temps, le fardeau de devoir grandir, vieillir, tout en se sachant toujours petit, infiniment petit. La puissance d’évocation de l’auteur donne d’ailleurs aux souvenirs relatés une intensité qui n’a d’égale que celle du soleil de Mágina, le tout baigné dans « une irréalité accueillante et sous-marine », celle des lueurs bleutées des premiers téléviseurs, dont l’apparition aura certes à jamais transformé notre rapport au monde, à l’actualité, à la présence.
La force du roman est d’abord son pouvoir d’attraction : nous, lecteurs, sommes entraînés, avec l’adolescent, dans cet état d’apesanteur qu’est la mémoire, perpétuel devenir, fouillis d’histoires. Et voilà qu’on se demande avec lui : que sommes-nous, chacun de nous, sinon de petites capsules en orbite dans l’espace incertain de nos propres vies ? Sinon d’insatiables chercheurs d’avenir, d’ailleurs, qui, portant sur leurs épaules « la bosse du passé », n’en continuent pas moins de chercher des parcelles de sol vierge où se poser, se reposer, habiter, rêver, passer…