De par sa persévérance dans l’étude de la radio québécoise, Pierre Pagé est mieux placé que quiconque pour porter un jugement sur cet univers. Il le fait avec clarté et mesure, sans complaisance, multipliant les pages éloquentes sur la fécondité des premières décennies du phénomène. La suite des choses ne suscite ni chez lui ni chez son lecteur le même enthousiasme. Le contraste est, en effet, marqué et même scandaleux entre ce qu’a présenté la radio pendant plus d’un demi-siècle et le fouillis bruyant et mercantile dont se satisfont aujourd’hui le Conseil de la radio diffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et les versants privé et public du domaine. Au départ, la radio assumait ses responsabilités culturelles ; depuis quelque temps, la cote d’écoute et le dividende financier s’imposent comme contraintes dominantes. « Primauté de l’économie, intensification de la consommation, recherche intensive du divertissement, la radio n’est plus un ‘service au public’, elle devient une ‘industrie culturelle’ dont l’objectif est la rentabilité pour les actionnaires. » Quant au CRTC, il a exacerbé la tendance au lieu de l’encadrer. Il ne parle plus de régions, mais de marchés. Au cours de la décennie 1970, il a accordé 41 licences de radio FM au Québec, fragmentant à outrance l’auditoire et provoquant la surchauffe de la mise en marché. Ni la musique ni le théâtre n’obtiennent aujourd’hui leur dû, ni dans le secteur privé, ni même dans la radio publique.
C’est d’ailleurs là une des plus étonnantes révélations de ce livre qui abonde pourtant en observations judicieuses : la radio privée des années 1930 ou 1940 se souciait de culture, d’éducation, de civisme à peu près autant que la radio publique. C’est à la radio privée que l’économiste Édouard Montpetit et son équipe de haut vol présentèrent pendant dix ans les centaines de conférences de L’heure universitaire ! À Radio-Canada, le même souci suscitait autant et plus de contributions culturelles et éducatives. Radio-Collège dura de 1941 à 1956 ; après sa disparition, les préoccupations que ce bloc d’émissions avait affirmées, au lieu de disparaître, se répandirent dans l’ensemble de la programmation.
Pagé quadrille avec minutie et raffinement tout l’univers de la radio québécoise et n’esquive aucune question. Comment a évolué le rôle de l’animateur ? Quelle formation musicale a été offerte à la population québécoise ? Comment le sport a-t-il conquis son territoire ? Comment expliquer l’intervention « intempestive » de Pierre Elliott Trudeau au sujet de la « contamination » souverainiste ? Que penser des tribunes téléphoniques ? Comme il se doit, l’évocation des défunts mérites culturels de la radio incite Pagé à rendre hommage au passage à ceux et celles qui les ont longtemps incarnés : depuis Judith Jasmin jusqu’à Jacques Languirand, depuis Lizette Gervais jusqu’à Miville Couture…