Dans leurs récits de voyage en Asie, les Occidentaux ont longtemps colporté une représentation ethnocentrique de leur culture. Il en est tout autrement depuis la seconde moitié du XXe siècle alors que les voyageurs écrivains partent pour mieux se décentrer et se dépayser, voire pour mieux apprendre à désapprendre. On se rappellera la fameuse remarque de Nicolas Bouvier : « Si on ne laisse pas au voyage le droit de nous détruire un peu, autant rester chez soi ». Dans le récit de son voyage de cent jours au Viêt Nam en compagnie de sa conjointe et de leur fils de onze ans, Alain Olivier ne fait pas exception à la règle. Son discours contre-ethnocentrique et antitouristique n’a d’égal que son désir de mieux (re)connaître l’Autre. On assiste en fait à une forme d’inversion des rôles, les préjugés anciennement projetés sur l’Asiatique étant maintenant attribués aux Occidentaux. À nous le « mépris », l’« arrogance », la « suffisance [ ] incommensurable », l’« indécente opulence », le manque d’humanité, à eux la « gentillesse », la « modestie », la « simplicité », la « pure générosité », le « naturel accueillant », la « profonde humanité ». À nous la « moue désabusée » et le « rictus désolant », à eux les « sourires bienveillants » et « resplendissant[s] ». On aura compris que cette approche qui consiste à idéaliser l’Autre ne permet pas de le connaître et de le comprendre beaucoup plus que l’approche qui, à une autre époque, visait à le dénigrer. Au demeurant, le Vietnamien n’est pas considéré pour lui-même, mais plutôt pour réactualiser une forme de primitivisme exotique évoquant un état originel que l’Occident a perdu : « […] nous avons tellement perdu contact avec notre environnement naturel ». Malgré tout, Alain Olivier se démarque dans une certaine mesure des voyageurs de la seconde moitié du XXe siècle qui représentaient l’Autre comme un modèle de bonté originelle, tout en exhibant, disait Jacques Derrida, leur « être-inacceptable dans un miroir contre-ethnocentrique ». En effet, la « tendance à magnifier » ce qu’il voit, nous prévient l’auteur, relève d’un choix tout à fait conscient : « […] mon compte rendu est forcément partiel et partial. J’insiste sur les couleurs les plus lumineuses et laisse tomber bien des zones d’ombre ». À la limite, précise-t-il, ce n’est pas vraiment du Viêt Nam dont il est question dans son récit, mais « d’un pays et de gens fabuleux », représentés à l’aide d’une « plume qui, le plus souvent, triche avec la réalité, quand elle ne la travestit pas tout à fait ». Une structure par thèmes qui chemine à travers un discours qu’Olivier adresse à sa mère, diverses allusions à son enfance et l’émerveillement qu’il éprouve à l’égard de la spontanéité de son fils Daniel contribuent également à donner une certaine originalité à ce récit de voyage.