À côté de ses grands mérites, ce livre comporte plusieurs aspects déroutants. Le survol des exactions commises par l’occupant français aux dépens des Algériens reprend, avec une fidélité équivoque, les informations déjà présentées par Assia Djebar (L’amour, la fantasia, Lattès, 1985). Non dans le mot à mot d’un plagiat, mais dans les similitudes avec une recherche établie ailleurs et interceptée au passage. Certes, l’objectif n’en est que mieux atteint, puisque les preuves soumises au lecteur bénéficient d’un double endossement, mais un doute persiste : ces informations font-elles aujourd’hui partie d’un survol largement diffusé du passé colonial de la France ou Hadjadj marche-t-il un peu trop aisément dans les traces d’Assia Djebar ? J’ai bien dit doute et non verdict de culpabilité.
Ce doute abandonné sur la touche, le récit offert par Hadjadj suscite l’admiration et la reconnaissance. La culture algérienne, vécue au jour le jour par plusieurs générations, devient intelligible, cohérente, elle est restituée à ses racines comme à ses aspirations. Il devient sinon facile, du moins possible de départager ce qui relève des individus et ce qui tient aux conditionnements collectifs. Lorsque des valeurs résistent au passage d’un siècle et demi, nul n’en peut contester l’importance. L’auteur ne les canonise pas pour autant. Ainsi, dit-il, la polygamie a pesé sur les relations conjugales comme sur l’éducation des enfants.
Quelques-unes des pages les plus courageuses concernent le cheminement politique de l’Algérie contemporaine. Certes, la révolution a déferlé, lourde des espoirs d’un peuple et greffée sur les idéologies théoriquement libératrices, mais quels fruits a-t-elle produits ? L’auteur, fervent militant de la première heure, constate que cette révolution, comme celle de 1789 ou celle de 1917, a été interceptée elle aussi : l’héroïsme d’hier a servi de marchepied à une bureaucratie amnésique et égoïste. Était-ce la peine de consentir tant de sacrifices pour hisser au sommet une oligarchie militarisée qui succède au colonialisme sans vraiment libérer le pays ?
Livre éclairant, courageux, troublant.