Le plus récent roman de Marie-Agnès Michel, intitulé L’allégresse des rats, met en scène Clovis, un ambulancier dont le boulot consiste principalement en ceci : débarrasser la ville de ses vieux, les achever, les jeter. Aussi comprend-on très rapidement que l’univers où l’on entre en est un glacial, mécanique, totalement déshumanisé. En effet, la vision du monde que propose le roman a de quoi faire peur. On y croise des rats en pleine rue, on y paie pour assister à des concours de mort par asphyxie sous-marine. On y consomme les êtres, leur chair comme leur mémoire, pour un oui ou pour un non. Le tout sur fond de mousse, de moisissure et de gentille musique électro-pop aseptisée. Bref, on y aperçoit des individus qui se côtoient sans jamais pour autant se coudoyer, qui semblent exister moins par leur sensibilité, leur sensualité, que par les « séquences de gestes » qu’ils accomplissent, machinalement.
Cette froide distance, ce détachement – du monde comme de soi – se traduit dans le ton même du roman. « Une-deux, une-deux » : avare de descriptions, l’écriture se borne à présenter des faits et des gestes, à montrer le petit train-train quotidien, cyclique, répétitif, monotone. La parole y est sèche, voire coupante, parfois très crue. Voilà d’ailleurs peut-être ce qui déconcertera le plus le lecteur : l’auteure ne commente pas le monde de sang, de poisse et de boue qu’elle invente. Elle se contente de l’énoncer, se plaçant ainsi au-delà de la dénonciation, comme après tout.
Au lecteur revient donc la tâche de commenter lui-même la sombre et terne société de L’allégresse des rats. Une société qui, après tout, n’est peut-être pas tellement loin de celle que certains d’entre nous pressentent déjà, alertés un peu plus chaque jour par la robotisation sans cesse grandissante de la moindre de leurs activités quotidiennes et qui, plissant le front, fronçant les sourcils, portent au loin ce regard vaguement inquiet qui leur tient lieu d’ultime demeure.