Qu’un premier roman révèle un nouveau venu brillant et prometteur n’est pas, en soi, un phénomène inhabituel. Mais qu’un premier roman fasse sentir que son auteur a trouvé le ton juste et qu’il maîtrise les ficelles de la narration comme s’il était un vieux routier, voilà qui est plus rare. C’est pourquoi L’enlèvement de Bill Clinton constitue un événement. Né en 1972, Cyrille Martinez signe avec ce livre un récit percutant, qui nous fait vite oublier le caractère fictif de ce témoignage sur Sarajevo en guerre.
Le titre à lui seul est une jolie trouvaille. Inutile de chercher dans les archives des journaux des renseignements sur un kidnapping de l’ex-président américain. L’enlèvement de Bill Clinton évoque l’état d’isolement désespéré dans lequel les Sarajéviens ont été catapultés quand ils ont vu leur ville à feu et à sang pendant le terrible siège de 1992 à 1996. À défaut de recevoir des nouvelles du monde extérieur, ils s’en sont fabriqué : c’est ainsi qu’il faut comprendre le rapt du président Clinton ou bien l’annonce d’un futur concert de Madonna au Youth Hall (bâtiment construit à l’époque de Tito sur les bords de la rivière Miljacka). De même, dans l’imagination des assiégés, Sarajevo est renommé Londres, New York, ou par troncation : « S. ». On comprend pourquoi : la fiction sert à préserver de la réalité, qui est devenue insoutenable. Quiconque s’aventure dans les rues risque de tomber sous les balles des tireurs embusqués.
Martinez dépeint la cité balkanique à travers deux années fatidiques de son histoire récente : 1994, alors que le siège touchait son paroxysme, et 1984, année où la ville a été l’hôte des Jeux olympiques d’hiver. Récit au « tu », L’enlèvement de Bill Clinton prend avant tout la forme d’une lettre imaginaire à un Bosniaque, Nedim Nrbat, mais on a tôt fait de constater que c’est le côté narratif qui l’emporte. Et quelle vivacité de la narration ! Martinez fait un usage novateur du tiret comme ponctuation forte, donnant aux fins des phrases l’allure de salves de mitraillette. Il en résulte un texte important sur l’expérience contemporaine de la guerre et sur l’adaptation au pire, de même qu’un document saisissant sur une ville – celle où fut assassiné François-Ferdinand d’Autriche en 1914 – que l’on a hâte d’associer à autre chose qu’à des tueries.