Ce quatrième volume des œuvres de Jean Meckert (1910-1995), en cours de réédition dans la collection « Arcanes » de Joëlle Losfeld, s’inspire d’un fait divers très connu en France : l’affaire Dominici. Celle-ci, outre une littérature abondante, a déjà donné lieu à un film de Claude Bernard-Aubert avec Jean Gabin en 1973 et à un téléfilm de Pierre Boutron avec Michel Blanc et Michel Serrault en 2003. Tout part d’un crime odieux : le 5 août 1952, les corps d’un couple anglais et de leur fillette de dix ans ont été retrouvés au petit matin en bordure de la Nationale 96 près de Lurs, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Sir Jack et Lady Ann Drummond ont été abattus de sept coups de feu d’une carabine américaine Rock-Ola, tandis que la petite Elizabeth a eu le crâne fracassé. Le motif exact du crime demeure nébuleux. Au terme d’une enquête pleine de rebondissements, un fermier rustaud de 77 ans, Gaston Dominici, a été inculpé, dénoncé par deux de ses fils, qui sont bientôt revenus sur leurs aveux. L’opinion reste divisée quant à la culpabilité du « vieux » (que de Gaulle graciera en 1960). Rédigé avant le procès aux assises, La tragédie de Lurs révèle en Meckert un essayiste à la prose limpide et sincère. Romancier de l’empêtrement dans le quotidien, Meckert avait donné la pleine mesure de son talent avec Les coups en 1942 et L’homme au marteau l’année suivante. L’univers du crime lui était familier, puisqu’il avait débuté, en 1952, sous le pseudonyme de John (ou Jean) Amila, une carrière d’auteur de polars pour la « Série Noire ». Pourtant, le massacre de Lurs outrepasse à son avis le cadre d’une enquête policière, ce qui explique le titre donné à son livre. Les protagonistes de cette « tragédie grecque » provençale ne sont pas seulement les enquêteurs, les témoins et les prévenus ; ce sont aussi les journalistes et le grand public, entraînés dans un immense spasme émotif où l’horrible le dispute à l’indicible. D’un style dépouillé et attentif, La tragédie de Lurs transcende la dureté des faits bruts et soulève une réflexion sur la prise en charge collective de l’horreur. On peut sans hésiter ranger ce texte aux côtés des classiques contemporains De sang-froid de Truman Capote et L’adversaire d’Emmanuel Carrère, des œuvres rappelant combien toute vérité peut être chaotique.
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