« Hannibal le cannibale ». Depuis une décennie, peu de cinéphiles ignorent les frasques de ce personnage paradoxal, aussi fascinant que repoussant, ce psychiatre psychopathe auquel l’acteur Anthony Hopkins a prêté un regard et une gestuelle inoubliables en le personnifiant à l’écran. Après deux opus où le raffiné tueur en série servait de consultant aux agents du FBI (dans Dragon rouge et Le silence des agneaux), Lecter vivait ses propres aventures de fugitif dans un troisième roman qui porte son prénom.
Que restait-il donc à Harris ? Que pouvait-il encore offrir à ses avides lecteurs qui en redemandaient ? Mais la genèse du meurtrier, pardi !
Il n’était certainement pas facile d’exposer comment se forgent, aussi étroitement imbriqués dans un même esprit, le génie et la folie. Comment expliquer le devenir aristocratique d’un médecin mélomane et fin gastronome, mais aussi assassin sadique et anthropophage ? D’autant plus que les véritables profileurs sont catégoriques : un tel individu ne peut pas exister dans la réalité.
Depuis les recherches de Robert Ressler (authentique agent fédéral), on sait que les pulsions mortelles et sexuelles fusionnent au début de la puberté chez le serial killer et s’expriment à travers des fantasmes élaborés mêlant l’extase orgasmique et le pouvoir absolu de vie et de mort sur un partenaire chosifié.
Voilà pourquoi il s’avère difficile d’adhérer à l’exposé de Thomas Harris, où c’est le désir de vengeance qui motive d’abord Lecter à torturer et à tuer. Vengeance du meurtre de sa petite sœur dans des circonstances effroyables et vengeance sur des tortionnaires de guerre qui ont pernicieusement brisé le tabou du cannibalisme auprès de Lecter enfant.
L’histoire vaut néanmoins le détour, ne serait-ce que pour savourer (sans jeux de mots !) l’ironie macabre et l’élégante froideur d’un meurtrier en devenir. Après tout, pourquoi bouder de telles retrouvailles ?