Triste temps pour lire un roman sur la disparition d’un enfant. Une nuit rêvée pour aller en Chine de David Gilmour raconte la dérive de Roman, un homme ayant perdu son fils de six ans une nuit où il n’avait pas envie de jouer au père et où il laissa Simon, le jeune enfant, seul, endormi dans l’appartement, pendant quinze minutes qu’il passa au bar du coin. Rongé par ses propres reproches, il essaie de faire face à un monde désormais insignifiant et poursuit dans la ville les appels de son fils qu’il a la conviction d’entendre à répétition. Il s’efface peu à peu pour se réfugier dans un paradis rêvé sur une île des Caraïbes, où il rejoint sa défunte mère qui veille maintenant sur le garçon.
Dès les premières pages du roman, le lecteur ne peut s’empêcher d’imaginer un garçon en pyjama dans l’hiver canadien, ou au chaud mais dans un endroit inconnu et entre de mauvaises mains ; on souhaite pour Simon la moins horrible des deux situations, mais laquelle est-ce ? Si Simon a disparu, son souvenir traverse le récit : la blondeur de ses cheveux, son odeur d’enfant, toujours là, dans sa chambre vide. Le cirque médiatique et l’enquête policière s’avèrent vite inutiles, ils n’apportent aucun réconfort. La douleur et la désorientation de Roman l’éloignent de ce qui, avant, importait ou amusait, de son épouse, de ses rares amis, de son travail d’interviewer à la télévision. Dépossédé, il n’a plus que lui-même, lui et ce qui est arrivé, lui qu’il imagine à travers les yeux des autres. Lui et sa silencieuse culpabilité.
Quelques critiques ont trouvé l’intrigue du roman pauvre et sans profondeur. Ils y ont vu seulement l’histoire d’un malheureux, errant, imbu de sa douleur, pour qui l’image (mais la sienne seule) compte vraiment. Mais peut-être que cette prose tout près du silence et cette histoire sans but ne servent-elles qu’à mieux traduire le vide intérieur de Roman. Que constitue désormais l’objectif de vie d’un homme impuissant devant le drame de la perte de son enfant ? Un enfant qui, Roman l’admettra, aura été l’amour de sa vie ? Le lecteur qui laisse la simplicité de l’écriture opérer comprendra pourquoi ce sixième roman de David Gilmour a valu à l’auteur ontarien les éloges de nombreux critiques et le prix du Gouverneur général.