Récit bref et dense. Peu plausible, si l’on s’en tient aux règles ennuyeuses qui régissent souvent les relations entre une femme et un homme, mais d’une justesse admirable pour peu qu’il soit permis à une auteure d’inventer le personnage dont elle a besoin. Cette permission, Lise Gauvin se l’accorde ; elle la mérite amplement.
C’est Albert Camus qui motive ce voyage en forme de quête. Marie veut connaître les lieux où a vécu l’auteur, emprunter son regard pour voir ce qu’il a aimé, prendre contact avec sa bibliothèque et, si possible, tel de ses manuscrits. Le personnage énigmatique qui s’offre à la guider n’a rien lu de Camus, mais il facilite ses recherches. Il lui donne même accès à des documents que les proches de Camus préféraient tenir loin des regards profanes. Dans ce climat, la femme et l’homme nouent une relation qui se nourrit des gestes physiques de l’amour, mais ne provoque ni épanchements ni profondes vibrations. Les deux êtres coexistent et se croisent, à la fois proches l’un de l’autre et tenus à distance par leurs secrets. Quand disparaît subitement cet amant de peu d’exigence et de transparence moindre encore, l’ombre du Meursault de L’étrangerimpose sa présence à Marie comme à nous.
Le récit est fait d’une lumineuse imprécision. Liberté totale est laissée au lecteur de supposer, d’entrevoir, d’interpréter. Le contraste est bellement ménagé entre les propos catégoriques des personnages autres que les amants et le flou dont s’accommodent Marie et celui qui déclare s’appeler Martin. Les responsables du château de Lourmarin parlent horaire, contrôle, protections légales et les commerçants des environs ajoutent leurs regards calculateurs ou méfiants, tandis que Marie et le peut-être Martin laissent leurs nuits en dire peu sur leurs sentiments. C’est évocateur et prenant comme un rêve dont on goûte le déroulement en évitant d’en trop préciser les suites. Meursault aurait apprécié.