Riche en données sur la vie autochtone et sur le climat du Québec nordique, le livre est pauvre en qualités romanesques. Mieux vaut donc, pour l’apprécier avec une certaine justesse, le ranger parmi les essais et les ouvrages à caractère scientifique.
Louis-Edmond Hamelin n’exagère sans doute pas quand il met dans la bouche de la religieuse Alcantara des propos imprégnés d’un racisme répugnant. Au mitan du XXe siècle, la rectitude politique n’avait encore imposé ni sa censure ni sa contrefaçon de la politesse. De même, Hamelin ne fait que recréer un temps vécu quand il décrit l’arrogance avec laquelle l’armée, en quête d’un de ses appareils perdus dans la tempête, envahit et saccage le territoire autochtone. Dans ce Québec mal dégrossi, un personnage aussi méprisant et dangereux que Peter-Rosaire Brochu détonnait à peine. Il n’a pris comme épouse une autochtone que pour mieux en faire sa victime soumise. Le meurtre qu’il commettra aux dépens d’une enfant autochtone ne sera qu’un moment fort du déferlement malsain d’une agressivité maladive.
Tout cela, que ne renieraient ni l’histoire ni la sociologie, ne correspond cependant pas à ce qu’on attend de la vérité romanesque. Les dialogues, ampoulés et artificiels, ne ressemblent en rien à ceux que tiendraient des personnages observés sur le vif. On n’imagine pas une brute comme Brochu pérorer ainsi : « N’essaie pas de détourner mon argumentation. Toi-même, après le sevrage du couvent, n’avais-tu pas comme toutes les femmes en manque un dévorant désir de sexe ? » D’autre part, l’impressionnant effort de Louis-Edmond Hamelin pour enrichir au fil des ans le vocabulaire requis par le Nord joue ici contre lui. Autant il était utile et ingénieux de créer le terme de nordicité puisque aucun mot ne valait celui-là, autant on verse dans l’artifice et l’inutile lorsqu’on forge des vocables comme glissité, ensembliste, méchance, hivernité… Et qui oserait décrire la très québécoise sloche comme une « matière hivernale astringente » ? Le sobre et admirable chercheur qu’est Hamelin impressionne plus que le romancier ou le lexicologue.