À l’été 1950, Anne Coleman a 14 ans. Sportive, indépendante, entêtée, elle jouit d’une grande liberté d’action au sein d’une famille anglophone fortunée de North Hatley dans les Cantons-de-l’Est. Esprit romanesque, elle passe ses journées à lire Tolstoï ou les sœurs Brontë et à discuter du destin de leurs héroïnes avec son amie Patsy. Le reste du temps, elle donne un coup de main à Emily qui tient une boutique dans le village, affronte tous les temps à bord du petit voilier qu’elle manœuvre seule et, bien sûr, tombe amoureuse. L’homme qui occupe ses pensées est beau, marié, sans enfant, et enseigne à l’Université McGill. À 43 ans, Hugh MacLennan est déjà une célébrité. Entre l’auteur de Deux solitudes et la jeune fille qui veut un jour devenir écrivaine naît une affection complexe et secrète qui prendra fin abruptement avec le mariage d’Anne, à 21 ans, avec un jeune émigré yougoslave tourmenté.
Ce mariage, tous le désapprouvent et elle-même sait qu’il sera désastreux. « C’est comme si c’était une fatalité », explique-t-elle à MacLennan. « J’ai l’impression d’avancer vers une falaise, et je vais tomber. Je ne peux arrêter ce qui va se passer. C’est mon destin. » Mais l’homme dont elle espère qu’il la sauvera de ce destin qu’elle s’impose ne peut rien pour elle. Et les mots qu’il lui dit alors, cinq décennies plus tard, Anne Coleman en trouvera enfin tout le sens.
Ce tout premier récit d’Anne Coleman a été mis en nomination dans sa version originale, en 2004, au prix du Gouverneur général. L’aveu de l’« amitié » amoureuse, vaguement scandaleuse, d’une jeune fille avec une icône de la littérature canadienne dont on découvre également certains traits de caractère détestables – MacLennan s’y révèle misogyne et quelque peu réactionnaire – a fait couler beaucoup d’encre. Mais, dès les premières pages, c’est avant tout l’écriture maîtrisée, fluide et « silky » – soyeuse, comme la qualifie un critique anglophone – qui séduit et retient les lecteurs. En trois chapitres, Coleman réussit à faire sentir le tumulte intérieur et les bouleversements émotionnels du passage vers l’âge adulte de cette jeune Anne, qui n’a rien d’une Lolita. « Nous éclatons de rire : pendant un court instant, j’ai presque l’impression que nous avons le même âge. » L’âge intemporel de ce qui, en chacun de nous, vibre au plus près de soi.
Sept étés de ma jeunesse, Souvenirs de North Hatley : malgré un titre plutôt banal, un récit admirablement traduit par Hélène Rioux. Une plongée subtile et délicate dans les tourbillons de l’adolescence.