Dans une langue où rivalisent rigueur et élégance, Martin Pâquet raconte trois cent cinquante ans d’histoire. D’entrée de jeu, la visière est levée. Il entend « préciser les contours de l’objet étudié – la formation de la pensée d’État -, le terrain d’enquête privilégié – l’histoire de la culture politique au Québec entre 1627 et 1981 -, ainsi que la méthodologie de l’enquête – celle de l’anthropologie historique ». L’auteur tiendra parole.
Au début, monarchie oblige, l’allégeance définit l’individu. Dépend-il de tel roi qu’il en devient le sujet. Sont du coup rejetés ceux dont l’allégeance va à un autre. Heureusement (?), la guerre peut modifier le cours des choses : « […] la capitulation transforme instantanément la nature des individus ». Tel est le sens des serments exigés : ils légitiment les changements d’allégeance et remodèlent la Cité. L’étape suivante changera le tamis. « À la fin des guerres napoléoniennes, écrit Pâquet, les autorités coloniales du Bas-Canada ne catégorisent plus l’étranger selon la nature théologico-politique de l’allégeance au souverain. Désormais, elles privilégient l’origine, le lieu de naissance, critère jugé plus objectif et plus rationnel. » Si la Cité veut gonfler ses effectifs, elle choisira ceux qui épousent ses valeurs. Pâquet use d’une formule lapidaire : « En matière d’immigration, l’État a plus de gésier que de cœur ». Les critères fluctuent, la Cité demeure sélective.
Synthèse aussi ample que nuancée, charnières justifiées, vocabulaire raffiné et savoureux. Le bouquin se referme sur un hommage mérité à l’ex-ministre Jacques Couture, un humain allergique à l’exclusion. Une prochaine édition rendra le prénom de leur enfance aux ministres Mario Cardinal (alias Jean-Guy, p. 199) et à Antonio Rivard (alias Antoine, p. 181).