Inclassable et admirable Strindberg : à la fois nouvelliste, chroniqueur, essayiste, polémiste et dramaturge, pouvant alterner d’un genre à l’autre, dans ce cas-ci dans le même ouvrage ! Dans Un livre bleu, August Strindberg (1849-1912) forge de petites histoires à partir d’une anecdote, d’une lecture, d’une situation pouvant donner une leçon, un raisonnement, un aphorisme. Ses récits sont très courts : moins d’une page pour la plupart – le parfait livre de chevet. Les sujets touchent la littérature, l’ésotérisme, la spiritualité, l’AncienTestament, voire la chimie ; d’autres passages sont rédigés sous forme de dialogues philosophiques entre un Maître et son disciple, à la manière d’une petite scène théâtrale ou d’un journal intime. L’auteur reconnaît avoir trouvé chez Goethe son inspiration pour rédiger une sorte de « bréviaire universel ». Pour ma part, j’y sens une nette filiation baudelairienne, lorsque Strindberg débute « Toute une vie en une heure » par une phrase digne des Petits poèmes en prose de Baudelaire : « Voici une histoire étrange, incompréhensible, mais qui mérite que l’on s’en souvienne ». Ailleurs, Strindberg reprend un titre de Baudelaire pour une autre histoire éthérée, « Le Léthé ».
L’auteur de Mademoiselle Julie, Le songe et Le chemin de Damas forge ici quelques magnifiques poèmes en prose, volontiers occultes ou mystiques, un peu comme des paraboles calquées sur le Nouveau Testament, souvent agrémentés de maximes ou d’une morale qu’il invente chaque fois (« Les inconvénients des excès »). Écrivain universel, Strindberg confirme en outre son statut de théoricien de l’amour. Entre la nouvelle et le sketch, « Les somnambules » illustre un thème constant chez lui : l’amour destructeur, l’enfer du couple.
Le lecteur non-initié ne sera pas toujours d’accord avec les raisonnements de Strindberg, qui était certes un humaniste, mais souvent misogyne ; ce fut possiblement la conséquence (ou la cause) de ses amours malheureuses. Néanmoins, les présentateurs affirment dans leur excellente présentation que « Strindberg reste un génie même quand il délire ». Fait assez inusité : tout le texte de cette édition est imprimé à l’encre bleu foncé (d’où le titre).