Les vaillances, farces et aventures de Gaspard des montagnes, que l’on considère comme le chef-d’œuvred’Henri Pourrat et qui vient d’être réédité chez Albin Michel, est un cycle de quatre romans écrits dans les années 1920. Le point de départ est simple : Gaspard promet à Anne-Marie de la protéger contre l’homme dont elle a mutilé la main et qui a juré de se venger. Mais cela amorce un long récit constitué de nombreuses petites histoires qui se déroulent en Auvergne à l’époque napoléonienne, le héros prenant part à une suite d’aventures où se profilent les ombres d’individus mystérieux, de brigands et de créatures fantastiques.
La principale qualité du roman réside dans la manière colorée de reproduire l’univers paysan ; en effet, il ne s’agit pas pour lui de développer la psychologie des personnages (elle est très simplement placée au service de l’action), mais de faire valoir la mentalité paysanne à travers une langue et des expressions imagées (ce qui cependant n’évite pas de rendre les personnages quelque peu caricaturaux). Les romans feignent de s’inscrire dans la tradition orale (d’où des chapitres divisés en veillées et en pauses) en dévoilant leur appartenance à l’imaginaire collectif propre à la région qui inspire l’écrivain. L’histoire semble être racontée par une vieille Auvergnate dont la présence est signalée dans chacun des quatre incipit, sans se priver de la narration omnisciente qui, selon les besoins de l’intrigue, nous révèle ou nous cache les pensées des personnages. L’état d’esprit de ces derniers, par exemple, est souvent reflété dans des descriptions de paysages, et l’écriture atteint régulièrement un registre plus poétique. À plusieurs reprises, celle-ci devient très subjective et glisse discrètement du côté du monologue intérieur. Pourrat multiplie donc les tonalités, traitant des vieilles valeurs, abordant des thèmes comme le dévouement et la rédemption, tout en ayant recours à des éléments fantastiques et en dressant des portraits souvent burlesques d’une société simple et pleine de naïveté. De cette façon, il réussit à donner une portée universelle au pittoresque et au régionalisme auquel la critique a souvent reproché d’être un discours trop étroit.